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saurions le penser. Les faits attestent que partout cette intervention a été jugée nécessaire au début des lignes de steamers, et que le capital ainsi dépensé a été placé à gros intérêts pour la nation. Que veut de plus l’économie politique, à moins qu’elle ne préfère immobiliser les théories en dehors de la pratique, dussent ces théories empêcher ou seulement retarder l’accomplissement de ce qui est utile ? Il lui reste assez à faire dans cette question si complexe des encouragemens accordés à l’industrie, d’abord pour veiller à ce que ces encouragemens ne dépassent pas la juste limite en dehors de laquelle l’intérêt public serait lésé, puis pour conseiller les mesures les plus propres à augmenter la puissance des forces que la nature, la science, l’action des gouvernemens et l’ardeur de l’esprit d’entreprise mettent chaque jour à la disposition de la société tout entière. Pour les gouvernemens comme pour les individus, l’utilité pratique, l’utilité présente ou à venir, est la première loi, quand les principes de morale et de justice ne sont pas atteints, et pour les lignes de paquebots, de même que pour les lignes de chemins de fer, n’est-il pas vrai que, le concours libéralement accordé par l’état s’est soldé par des profits incalculables ?

Que le service postal s’exécute sur mer avec la régularité qu’il obtient sur les routes de terre, que les correspondances et une certaine classe de voyageurs et de produits soient transportés plus vite, que les gouvernemens et les peuples soient plus promptement informés des événemens qui se passent loin d’eux, c’est beaucoup sans doute, et cela suffirait pour justifier les subventions ; mais il y a plus. Le principal mérite des paquebots, c’est d’avoir développé, à l’usage de tous les hommes et pour l’avenir à l’usage de tous les produits, le transport à la vapeur. Chaque paquebot est, pour ainsi dire, le père d’une légion de steamers. Les émigrans qui, chaque année, partent des rivages d’Europe pour se rendre dans les deux Amériques n’auront plus à passer de longues et insupportables journées à bord des navires à voiles que l’on voit encore à Liverpool, au Havre, à Brème, et où ils sont arrimés comme des ballots de marchandises. Désormais la vapeur est à leurs ordres. Ils sont aujourd’hui trois cent mille ; encore quelques années, et ils seront un million. Un nouveau ressort est fourni aux mouvemens de la race européenne, qui pourra s’épandre plus librement sur le globe et porter en Amérique, en Afrique, en Asie, les notions supérieures qu’il lui appartient de propager. La civilisation est tout entière dans cet épanouissement humain que la vapeur a rendu possible, et l’origine directe de ce grand bienfait, c’est le paquebot.


C. LAVOLLEE.