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rendre cette justice, ont essayé de modérer la violence de ces règlemens : les lazarets ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois avec leurs formalités presque sauvages ; mais aussitôt que le danger se montre, le sentiment populaire reprend le dessus, et les restrictions sont fatalement invoquées. Dans un écrit récent[1], M. J. Girette a fait ressortir les abus de la législation sanitaire, l’énorme préjudice qui en résulte pour le commerce et pour la civilisation, l’inefficacité des précautions prises pour arrêter au littoral une épidémie qui peut s’introduire en même temps par les frontières de terre, la nécessité de rompre définitivement avec les préjugés d’un autre âge et de réconcilier toute cette partie de la législation avec les intérêts et les besoins qui dominent l’ère moderne des chemins de fer et des paquebots. Au point de vue politique et économique, cette démonstration, fondée sur de solides argumens et sur une longue série de faits qui ont été observés dans le bassin de la Méditerranée, ne laisse rien à désirer. Il est bien certain que, si l’on pouvait exprimer en chiffres l’état des pertes que la quarantaine inflige aux individus comme aux nations par suite de la suspension ou seulement même de l’incertitude des rapports les plus nécessaires, on arriverait à un total effrayant. Pendant l’année 1865, la compagnie des Messageries impériales a vu ses services constamment gênés et détournés de leurs opérations habituelles par les mesures sanitaires qui ont été appliquées en Italie, en Espagne, en Algérie, à Tunis, en Égypte. Quel trouble dans toutes les relations ! Malheureusement il n’est pas au pouvoir des gouvernemens de supprimer tout à fait ce grave dommage. Erreur populaire, préjugés, vaines frayeurs, soit ; mais allez donc sous la menace de l’épidémie demander à Marseille, à Barcelone, à Naples, l’abolition de la quarantaine ! Cependant les protestations et les conseils de M. Girette sont appelés à rendre de grands services en éclairant l’esprit public et en montrant que la police sanitaire, à l’instar de toutes les polices, pèche instinctivement par excès de zèle. Les règles pourraient être adoucies, les vexations évitées, les retards abrégés. Pourquoi se montrer plus sévère dans tel port que dans tel autre lorsque les circonstances sont les mêmes ? Pourquoi les rigueurs s’exercent-elles ici et là sous des formes différentes ? Ce serait déjà un progrès que d’introduire dans la loi sanitaire l’unité de procédure. On aurait quelque chance de voir les états les plus éclairés modérer l’ardeur de ceux qui abusent trop évidemment de la quarantaine ; les grands ports seraient moins souvent et moins longtemps fermés aux communications, et l’on pourrait examiner s’il ne conviendrait pas d’exempter les paquebots-postes

  1. La Civilisation el le Choléra, 1 vol. in-8o.