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assez fortes pour maintenir isolément leur terrain dans la grande bataille de la vie, et qui ne sont point soutenues par des renforts venus du continent, doivent nécessairement diminuer, puis disparaître. Tel est le vrai sens de la légende qui nous montre saint Patrick saisissant les reptiles de l’Irlande et les précipitant dans la mer. N’a-t-on pas vu, il y a deux siècles à peine, disparaître les loups qui parcouraient les forêts anglaises ; et pareille extermination ne serait-elle pas depuis longtemps accomplie en plusieurs contrées de l’Europe continentale, si ces régions se trouvaient isolées des grandes forêts et des montagnes par une infranchissable barrière ?

Une multitude d’îles situées comme l’Angleterre et l’Irlande dans le voisinage des continens sont aussi de simples fragmens que les vagues, aidées peut-être par l’affaissement graduel du terrain, ont détachés des rivages de la grande terre. Le magnifique archipel de la Sonde, les Moluques et les îles voisines de l’Australie offrent le plus remarquable exemple de ce morcellement des masses continentales. Un canal d’une trentaine de kilomètres de largeur et d’une profondeur de plus de 200 mètres passe entre les deux grandes îles de Bornéo et de Célèbes, et, se continuant dans la direction du sud, va séparer les deux terres volcaniques, très rapprochées l’une de l’autre, de Bali et de Lombok. Ce canal est l’ancien détroit qui servait de limite commune à l’Asie et au continent austral. A l’ouest, Java, Bornéo, Sumatra, la péninsule de Malaisie, le Cambodge, reposent sur un plateau sous-marin qui s’étend à 60 mètres à peine au-dessous de la surface des eaux ; à l’est, Sumbava, Florès, Timor, les Moluques, la Nouvelle-Guinée, l’Australie, se trouvent également sur une sorte de piédestal qui s’est graduellement affaissé, et sur lequel les zoophytes construisent çà et là de longues barrières d’écueils. Ainsi que le naturaliste Wallace l’a démontré par ses recherches dans l’archipel indien, toutes les espèces, plantes et animaux, diffèrent complètement de chaque côté du canal de séparation : faune et flore sont asiatiques à l’ouest, tandis qu’à l’est elles présentent le type australien ; même les oiseaux, pour lesquels un détroit de quelques lieues de largeur semble pourtant un bien faible obstacle, diffèrent nettement dans chacun des deux groupes d’îles. Les espèces du monde asiatique, appartenant au plus vaste des continens, à celui qui présente la plus grande diversité de hauteurs et de climats, sont aussi de beaucoup les plus nombreuses et les plus variées : ce sont des espèces modernes. Les animaux et les végétaux du groupe australien ont au contraire une physionomie des plus antiques, comme si les anciens types, graduellement renouvelés dans le vaste et tumultueux continent d’Asie, s’étaient