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du golfe, déployant sa grande courbe à travers l’Atlantique boréal, s’affaiblit peu à peu en s’étalant sur une large étendue, mais il est toujours reconnaissante à la marche et à la température des eaux ; grâce aux traversées qui se font chaque année par dizaines de mille dans cette partie de l’océan, il a même été possible de reconnaître les déplacemens que la nappe d’eau courante subit alternativement vers le nord et vers le sud suivant la position du soleil : ainsi que l’a dit Maury dans son langage plein d’un enthousiasme poétique pour les phénomènes de la mer, on peut voir le gulfstream flotter sur l’océan comme une banderole au souffle de la brise. Sur le littoral de l’Islande et de l’Ecosse et jusque sur les côtes de la Laponie et du Spitzberg, où les eaux venues de la mer des Antilles apportent à la fois les débris de plantes américaines et les effluves du climat tropical, la marche du courant est parfaitement connue ; mais plus loin s’étend le grand bassin polaire où le courant du sud, encore tiède, lutte pour la prépondérance à la surface de la mer contre le froid courant du nord. C’est là qu’on perd de vue le fleuve maritime, dont la vaste courbe se déploie si majestueusement des récifs de coraux des Bahames aux glaciers du Spitzberg. Il doit alors plonger sous les eaux mêlées de glaces fondues, par conséquent moins salées et plus légères, du courant qui vient à sa rencontre ; mais le gulfstream continue-t-il son cours sous-marin dans les profondeurs jusqu’à ce qu’il soit complètement mélangé avec les masses liquides environnantes, ou bien garde-t-il son individualité et reparaît-il soudain à la surface dès qu’il se retrouve sous des couches plus pesantes ?

Récemment deux éminens géographes d’Allemagne, MM. Mühry et Petermann, ont démontré, en discutant les observations des navigateurs, qu’un bras de ce courant surgit en effet du fond de la mer après avoir coulé au-dessous et en sens inverse du courant polaire durant un espace d’environ 1,000 kilomètres. Au sud de la pointe méridionale du Groenland commence un courant côtier qui suit la rive occidentale de la grande île et porte les navires jusque vers le 78e degré de latitude, à l’extrémité de la mer de Baffin. L’opinion commune des marins voulait que ce courant fût la continuation du flot polaire qui passe entre l’Islande et la côte orientale du Groenland ; par un singulier phénomène, ce fleuve d’eau froide entraîné vers le foyer d’appel des mers équatoriales n’aurait point suivi directement sa route, mais, se reployant brusquement autour du cap Farewell, il aurait fait un grand circuit à l’ouest du Groenland avant de reprendre sa marche normale vers l’équateur. Un pareil détour du courant polaire serait déjà un fait inexplicable ; mais ce qui en démontre l’impossibilité, c’est la