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exacte et même la réduction à volonté des objets. Les grandes maisons comme celles de MM. Odiot et Christofle pour l’orfèvrerie, MM. Bapst pour la joaillerie, n’en gardent pas moins leur rang, et s’appliquent de leur mieux à soustraire le génie de leur industrie aux facilités énervantes vers lesquelles on l’entraîne.

A passer en revue tous les arts de décoration, il y aurait encore bien des articles à y comprendre, et au premier rang les tapisseries des Gobelins et de Beauvais, et les porcelaines de Sèvres. C’est la perfection même et l’une des passions du public. Le succès n’est pas moindre pour Baccarat et Saint-Gobain. Baccarat, avec ses grands lustres à cristaux, a donné à l’espace dont il dispose l’aspect d’une salle de bal ; Saint-Gobain a disséminé dans les galeries du palais les magnifiques glaces sorties de ses coulées. Saint-Gobain doit être le vétéran de nos établissemens d’industrie ; il fut créé par Colbert, qui voulait enlever à Venise le monopole de ses miroirs. Les plus singuliers engouemens marquèrent ses origines. Louis XIV le protégeait, et c’était parmi les courtisans à qui irait sur ses brisées. Saint-Simon raconte à ce sujet d’une comtesse de Fiesque, qui « n’avait presque rien parce qu’elle avait tout fricassé, » une histoire qui prouve combien le succès fut vif. « Tout au commencement de ces magnifiques glaces, alors fort rares et fort chères, elle acheta un parfaitement beau miroir. — Hé ! comtesse, lui dirent ses amis, ou avez-vous pris cela ? — J’avais, dit-elle, une méchante terre et qui ne me rapportait que du blé. Je l’ai vendue et en ai eu ce miroir. Est-ce que je n’ai pas fait merveille ? Du blé ou ce beau miroir ! » On a aujourd’hui des miroirs plus beaux à de moindres prix. Les glaces qui valaient, il y a un siècle, 300 francs le mètre se vendent 30 fr., et on fabrique 365,000 mètres par an ; avec le prix d’une terre, on garnirait de trumeaux une petite ville. C’est que de grands progrès ont été faits dans la perfection et la promptitude des opérations, la hardiesse des procédés, l’étendue des surfaces, et que la manufacture, dans cette longue succession de maîtres, est toujours tombée en de fortes mains.

En résumé, comme on l’a vu, ce qui manque aux industries et aux arts dont nous venons de récapituler les titres, c’est l’originalité. Parviendront-ils à la reconquérir ? C’est une grosse tâche pour des temps de déclin. Dans les arts comme en toutes choses, à mesure que les civilisations vieillissent, l’invention semble se rétrécir. Sans doute, s’il survenait un vrai génie, tout ce qui nous enchaîne aujourd’hui à une certaine médiocrité, la diffusion de la richesse, l’action qu’exerce dans le domaine des arts cette foule de cliens qui autrefois s’en tenaient éloignés, l’altération du goût dont cette invasion a été suivie, la nécessité où l’on est d’y conformer les travaux