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Il est toujours fâcheux de s’asservir à promener un calque sur la tradition, quelque glorieuse que cette tradition puisse être. Nulle ne l’est plus que celle de la France. Nous avons là dès le début tout un art, et un art exquis. Cet art remonte aux premiers procédés d’assemblage, c’est-à-dire au moment où les meubles cessent d’être assujettis au moyen des goujons en fer et où l’on emploie la colle pour faire les joints. Alors naît la grande sculpture sur bois, au seuil même de la renaissance, qui s’en empare et la livre au ciseau de ses maîtres, Jean Goujon, Germain Pilon, Jacques Sarrazin. Que de chefs-d’œuvre coup sur coup, frises, décorations, buffets d’orgue, stalles, chaires, bahuts, crédences ! Ce qu’on en voit dans nos musées et dans nos églises suffit pour donner une idée du génie du temps ; rien de plus achevé ni de plus vigoureux ; c’est la grâce unie à la force. Dans cette période, c’est la sculpture qui l’emporte ; plus tard ce sera la marqueterie. Déjà sous Henri IV et sous Louis XIII le style de la renaissance dégénère ; le meuble devient plus lourd, plus triste. Il faut franchir un demi-siècle pour arriver à un autre genre et à une autre supériorité. Boule imagine alors et pousse à une perfection incomparable l’art d’incruster le bois et d’y distribuer avec un goût parfait des ornemens de cuivre, d’écaille, d’ivoire, de nacre, de burgau, même de corne et de baleine. Du temps des sculpteurs, le chêne suffisait à leurs compositions ; tout au plus le suppléait-on par quelques bois indigènes. Pour les œuvres de marqueterie, on eut recours à d’autres bois, et le commerce en amena de tous les points du globe : l’acajou, l’ébène, le palissandre, le citronnier. Boule fît école, et cette école remplit la France de chefs-d’œuvre ; jamais meubles plus riches ne garnirent les appartemens.

Après lui, il y eut, sous Louis XV, quelques déviations et un excès de mouvement dans les formes. Un bois peu connu, peu employé auparavant, depuis prodigué jusqu’à l’abus, le bois de rose, fournit un placage très recherché, et sous ce nom on comprit toutes les essences d’un ton fauve ou jaune allant jusqu’au rouge veiné de noir. C’était ou le liseron des Antilles ou le balsamier de la Jamaïque, parfois même des racines d’arbres à couches concentriques et à structures bizarres. Le style d’ailleurs allait d’affectation en affectation. Plus de jambes droites ni de lignes uniformes ; les pieds sont contournés ; les panneaux courbes, on sent la manière et l’effort ; l’ameublement répond à la galanterie qui règne. La laque joue aussi un rôle déjà connue sous Louis XIV, elle entre pour une plus grande part dans le revêtement et se marie avec l’incrustation et la dorure. Les choses durent ainsi, avec des veines heureuses ou médiocres, jusqu’à l’avènement de Louis XVI, ou la sculpture, longtemps délaissée, se relève dans le découpage