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expérience séculaire, il paraissait établi que nulle matière n’est préférable à celle que fournit ce type renommé ; on ne la discutait pas. Aujourd’hui on la discute, et on se demande si ces toisons d’une finesse incomparable ne font pas payer trop cher les services qu’elles rendent. Le mouton en effet est une créature à deux fins ; il doit donner à la fois de la laine et de la viande, deux produits qui n’ont jamais pu se mettre en équilibre et qui passent pour incompatibles aux yeux de bien des gens. Comment ne pas incliner à le croire ? Les races d’élite, celles qui fournissent à l’industrie ses plus beaux fils, les races de Naz et de Rambouillet, la race électorale, ne donnent à l’abattoir que peu de viande et de la viande médiocre. Leurs flancs creux, leur poitrine, leur croupe et leurs reins serrés ne se prêtent pas à l’engraissement. Ce ne sont à la lettre que des bêtes à laine, et encore, si cette laine a de la douceur, elle laisse à désirer pour l’éclat du brin et la longueur de la mèche. Qu’en conclure ? A la rigueur ceci, qu’entre les deux produits la viande n’est pas le moins utile et qu’il faut vivre avant de se vêtir ; mais ce serait trancher dans le vif, et les accommodemens sont possibles. A quelque croisement qu’on soumette nos troupeaux, les laines fines ne manqueront jamais, dans nos pâturages maigres d’abord, qui sont par destination de vrais parcs à mérinos, puis dans les docks de Londres, dont nos filateurs connaissent le chemin et où abondent les laines d’Australie, désormais classées parmi les meilleures.

Tel est le défi qu’au nom de l’agriculture on a récemment jeté à l’industrie de la laine, et voici la transaction qu’on lui propose. Il s’agirait de convertir le mérinos, déjà fort amalgamé dans la Beauce et dans la Brie, en une bête mixte qui troquerait la supériorité bien établie de sa toison contre une charpente mieux conformée. Peut-être nos tissus seraient-ils moins souples, mais les étaux de nos bouchers seraient plus copieusement garnis. Projets en l’air ! dira-t-on ; la foi aux croisemens est en réel déclin, chacun s’en tient à ce qu’il a. Soit, mais les convenances commerciales ne capitulent pas pour cela, et voici ce qui arrive. Dans le cours de quarante ans, le prix de la laine a baissé de deux tiers au moins, tandis que celui de la viande montait au double et au triple. En 1805, la laine en suint valait 7 fr. le kilogramme, et en 1816 elle était encore cotée à 5 fr. ; depuis lors, par des dépréciations brusques ou lentes, elle est arrivée au prix où nous la voyons, oscillant entre 2 fr. et 2 fr. 50. D’un autre côté, la viande suivait la progression inverse. Sans remonter bien loin, on peut se souvenir du temps où l’on trouvait sur de certains marchés de la viande passable entre 50 et 75 c. le kilogramme. Nous voici aujourd’hui au double dans beaucoup de localités, au triple dans quelques autres, et il faut