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pas vulnérable : le prix des charbons, du fer, des machines, élémens ou instrumens de son travail, le loyer des capitaux, la perfection de la main-d’œuvre, l’étendue des débouchés ! L’exposer à un tel choc, c’était, assurait-elle, vouloir de gaîté de cœur qu’elle fût brisée comme verre ; du moins eût-il été prudent d’attendre qu’elle fût mieux préparée. Le temps a passé sur ces doléances et en a démontré le peu de fondement. La liberté, ici comme partout, n’a eu que d’heureux effets ; elle a dégagé les intérêts généraux sans froisser d’une manière sensible aucun intérêt particulier. Loin de sombrer dans cette expérience, notre industrie du coton s’est plutôt fortifiée. L’Angleterre, à la vérité, n’a rien perdu des avantages qui lui sont propres, le bas prix de la houille et la puissance des moyens d’échange ; mais nous avons eu en revanche des compensations très réelles dans les conditions plus modérées de la main-d’œuvre et l’élan salutaire que les besoins de la défense ont imprimé aux établissemens menacés. C’est une justice d’avouer qu’aux plaintes de la première heure a succédé l’effort le plus viril et le plus soutenu. Rien n’a été épargné pour que les chances fussent au moins balancées. Jusqu’alors, beaucoup de filatures, énervées par le régime de la protection, avaient vécu petitement sur un outillage défectueux ; cet outillage a été complètement renouvelé. D’autres fois les exploitations se constituaient sur une échelle trop réduite, ce qui les frappait de langueur ; partout aujourd’hui la moyenne des exploitations s’est relevée de manière que les moindres d’entre elles fournissent un bon service. Bref, dans tous les sens et de toutes les façons on s’est mis en mesure de résister, le cas échéant, et avec de meilleures armes que par le passé. Ni la disette des matières ni le ralentissement relatif du travail n’ont empêché ce mouvement d’aboutir.

Dans ces surprises des événemens, il n’y a qu’un objet qui ait réellement souffert, c’est le produit ouvré, et l’on va comprendre pourquoi. Le coton américain était un coton incomparable tant pour les tissus communs que pour les tissus fins ; il défrayait à lui seul, au moment où il fit défaut à l’Europe, les neuf dixièmes des consommations. On peut dire que, depuis le calicot jusqu’à la mousseline, tout lui appartenait. Quel embarras et quel vide lorsqu’à un jour donné il fallut le suppléer dans tous ses services ! A quelles contrées recourir ? Où trouver l’analogue, à quelques degrés près, de ces qualités qui jouissaient sur tous les marchés du monde de préférences enracinées ? Le problème n’était pas aisé à résoudre. L’Égypte, le Brésil et l’Algérie avaient bien quelques cotons de choix, mais en quantités limitées par les surfaces propres à ces cultures. C’était à peine la vingtième partie de l’approvisionnement