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Pour les marchés étrangers, les genres sont plus mêlés, le clinquant reparaît ; chaque nation est servie comme elle l’entend : pour l’une ce sera le ruban broché d’argent et d’or, pour l’autre le ruban velouté ou gaufré, ou bien le ruban à effet d’armures. Il n’est pas d’article qui n’ait quelque part un débouché, et plus les prix s’abaissent, plus ce débouché s’étend. C’est ce qui arrive pour les rubans en soie pure ou mélangés de coton que l’on voit voltiger sur les épaules des femmes. D’où en est venue la mode ? On ne le sait ; mais quelle qu’en soit l’origine, elle a fait son chemin. Aucuns rubans n’ont plus de débit ; on les expédie par millions de mètres, et déjà on les traite mécaniquement, comme aux Mazeaux et à la Séauve, dans la Haute-Loire.

Tel est à vol d’oiseau, et sans toucher au chapitre délicat des noms propres, l’aspect de notre industrie des soieries ; que peuvent opposer à ces grands foyers de production les industries étrangères ? Les pièces sont sous nos yeux ; on est à même de comparer. Il y a d’abord à exclure les fabrications de fantaisie que chaque nation crée à son usage et dont les produits ne dépassent pas ses frontières ; c’est le cas pour tout l’Orient et pour une grande partie du midi de l’Europe. Aucune concurrence sérieuse n’est à craindre de ce côté. Depuis longtemps, Lyon a battu la Chine pour les crêpes, comme Tarare et Saint-Quentin ont battu l’Inde pour les mousselines. C’est autour de nous, à nos portes, qu’il faut chercher nos vrais rivaux, si tant est que nous en ayons : les mieux armés sont les Anglais, les Prussiens et les Suisses. Les Anglais ont peu exposé ; leur plus fort contingent est venu de Londres, probablement de seconde main ; Coventry, Manchester et Norwich ont fourni les autres envois. A ne les juger que sur l’exécution, ces étoffes ne sont pas de nature à nous causer grand souci. Du premier coup d’œil, on reconnaît la distance qui sépare l’élève du maître. Point de taches, point de tons faux dans l’exécution française ; dans l’exécution étrangère, il y a toujours de mauvais coups de navette, des parties qui déparent et où la main se trahit. En général on nous copie, mais on nous copie comme on parle notre langue, avec un accent étranger et quelques idiotismes. Il y a d’ailleurs un autre point où l’imitation échoue : c’est dans l’art du montage ; là nos ouvriers sont incomparables, ils trouvent sur le métier même des effets inattendus. Grands artistes que ces ouvriers, et comment les oublier quand on parle des merveilles qu’ils créent ? Le goût qui les anime a survécu à tout, à l’esprit de secte, aux révolutions de la mode et de la politique. Dessinateurs, apprêteurs, teinturiers, ourdisseurs, tous se prêtent sans effort et presque sans méthode un mutuel appui. C’est leur instinct, c’est leur nature ; ils font des chefs-d’œuvre comme on