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d’argent, des gris de perle, du rose tendre, du pourpre, du bleu et du vert d’aniline, comme aussi de ces noirs profonds que, sous un certain jour, traversent des reflets métalliques. Il en est de même des pouts-de-soie, qui en aucun concours n’ont été plus abondans ni plus élégans, soit en gros grains, soit en larges bandes, en écossais et en ombrés de couleur. Et les moires qui serpentent comme des sillons de foudre sur une étoffe unie et régulière comme le vélin, quelle profusion ! Il y a des chefs-d’œuvre en ce genre au Champ de Mars, entre autres une pièce de couleur mais dont la moirure s’empare du regard, quoi qu’on en ait, par l’ampleur de ses proportions. Les façonnés eux-mêmes, sans avoir les airs fanfarons d’autrefois, font encore bonne contenance et ont gagné en distinction ce qu’ils perdaient en turbulence ; il y a maintenant place à leurs côtés pour des articles, de grande vente, comme les taffetas noirs et les peluches pour chapeaux d’hommes ; mais de toutes ces collections, la plus brillante est celle des velours. Quel luxe de couleurs, et comme la lumière s’y brise capricieusement ! Nulle étoffe ne drape aussi bien, ne s’ajuste mieux aux formes ; il y en a pour tous les usages et de tous les prix, depuis la robe de bal jusqu’au corsage le plus modeste. Rare mérite que de pouvoir se rendre populaire sans déroger !

Saint-Étienne a eu comme Lyon ses révolutions de genres. Il y a une dizaine d’années, l’ornement était poussé à ses dernières limites ; on ne voyait que rubans chargés de fleurs, d’oiseaux, de ramages, de médaillons, quelquefois de motifs de paysage. Aujourd’hui c’est vers la simplicité qu’on incline ; plus d’essor ambitieux, on s’en tient au ruban uni, écossais ou quadrillé. Cette simplicité n’est point exempte d’art ; l’art consiste ici dans le choix des nuances et l’harmonie des tons, dans la gradation des couleurs, dans la combinaison des reflets et des ombres, dans les motifs qui se répètent symétriquement, carreaux, losanges, sillons de moire, dans les contrastes ingénieusement ménagés entre la chaîne et la trame. Par ce retour vers un décor plus sobre, il ne faut pas croire que la tâche du fabricant soit devenue plus facile, ni que son mérite soit diminué. Dans l’industrie, comme dans les lettres et les arts, on n’arrive à la simplicité qu’au prix d’un certain effort ; l’œuvre où le travail paraît le moins est souvent celle qui en à coûté le plus. On peut s’en convaincre par l’analyse, des rubans exposés. Comme Lyon, Saint-Étienne s’est surtout attaché à la beauté de la teinture et du tissu ; il a été bien inspiré. Dans la gamme de ses couleurs, à peine en trouverait-on une ou deux qui soient mal venues ; les autres couvrent de glacis sans tache des surfaces sans défaut. C’est évidemment là le lot du marché de Paris, le grand régulateur du goût.