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qu’inspire ici l’autorité morale, le parlement anglais n’a rien à redouter des surprises de la force. Selon nos voisins, la liberté n’est fondée chez un peuple que du jour où la puissance des garanties enlève aux ambitieux de tous les ordres non-seulement les armés, mais même la pensée d’agir contre la loi.

Un autre trait qui frappe à première vue dans la chambre des communes est l’attitude conciliante des partis, qui n’exclut d’ailleurs entre eux ni l’âpreté, ni même quelquefois la fureur des attaques oratoires. Il faut se souvenir qu’ici toutes les opinions ne sont séparées que par des nuances. Quels que soient les rapports du gouvernement et de l’opposition, rien dans les actes du passé ne réveille de ces souvenirs qui creusent des abîmes entre les consciences indignées. L’avènement d’un ministère tory peut bien mécontenter une grande partie de la chambre ; mais tout le monde sait en même temps que le nouveau cabinet ne menace aucune des libertés publiques. Pourquoi M. Disraeli, par exemple, en voudrait-il à la presse ? C’est à elle qu’il doit ses premiers succès. A-t-on plus de raisons de craindre pour le droit de réunion ? Tout jeune cet homme d’état a grandi dans les meetings et dans les luttes de la parole. M. Disraeli ministre ne sera d’ailleurs que ce qu’il était la veille, le chef d’un parti qui rencontre à chaque instant dans la force de ses adversaires le besoin de se plier aux circonstances. Et puis, quand on songe que dans ce pays longtemps gouverné par les anciens tories on trouve assises sur une base inébranlable toutes les véritables conquêtes de l’esprit moderne, telles que le domicile inviolable, la liberté individuelle protégée par l’habeas corpus, le droit de discussion exercé sans contrôle et sans limite, le ministère marchant sans cesse en présence de l’opinion, la justice plus puissante que la force et, grâce à une magistrature indépendante, courbant toutes les volontés sous la loi, qui s’effraierait en conscience du passage des nouveaux conservateurs aux affaires ? Considérant ce qu’ils ont fait eux-mêmes et ce qu’ils respectent dans ce qu’ont fait les autres, on serait bien plutôt porté à sourire de ce que les gouvernemens appellent ailleurs la liberté. D’un autre côté, les adversaires du cabinet remplissent un devoir constitutionnel, « ils favorisent la reine de leur opposition. » Si étrange que puisse sembler cette manière de dire, elle est d’accord avec les mœurs parlementaires de nos voisins. La monarchie n’a que faire dans la Grande-Bretagne de ces majorités acquises d’avance à la parole d’un ministère. N’ayant ni système à défendre, ni actes personnels à justifier, ni blâme à subir pour la conduite des affaires, elle a tout intérêt à ce que le pour et le contre soient dits sur chaque question. La chambre des communes est ainsi avec la chambre des lords la plus sérieuse garantie et le plus ferme boulevard qui s’élève en