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plus encore dans ses yeux gris aux reflets dorés. Elle a de longs regards à la fois questionneurs et caressans ; il semble que son âme interroge la vôtre et cherche à deviner ce qui s’y passe, non par curiosité, mais pour se mettre à son ton et pour prendre l’accord... Je n’ajouterai qu’un mot : quand elle vient à vous, on éprouve toujours une sorte d’émotion agréable ; il semble qu’il se passe quelque chose.

« Assurément ce portrait n’a pas été tracé de la main d’un ennemi. Je vous confesse, mon cher notaire, que je ressens quelque amitié pour ma cousine ; je conviens aussi que le sort du quidam qu’elle aimera me paraît digne d’envie, car elle est de ces femmes qui se donnent sans réserve et pour toujours, elle sera ce que l’amour la fera ; il y a en elle quelque chose de vague, de flottant, d’inachevé, qui attend pour se fixer que son cœur parle et lui fasse sa destinée... Oui, j’ai de l’amitié pour elle, et si je connaissais un homme qui n’eût pas, comme moi, une instinctive et irrésistible aversion pour tous les engagemens, un homme qui fût capable d’aimer et d’être aimé, je lui dirais : Tâche d’obtenir le cœur de cette femme, tu seras son dieu, et pourvu que le dieu se laisse adorer comme elle l’entend, la prêtresse sera contente. « Mme d’Azado a des qualités qui auraient plu à mon père, il eût apprécié son bon sens, son jugement solide et sain. Il n’admettait pas que les femmes fussent des articles de luxe, il leur demandait avant tout de s’entendre aux choses du ménage, de savoir tenir et gouverner une maison et d’employer leur imagination à découvrir dans les incidens les plus ordinaires de la vie des ressources contre l’ennui. À cet égard, Mme d’Azado ne laisse rien à désirer. Je la vois aux prises avec sa maison, qui lui donne beaucoup à faire ; elle dirige à merveille les travaux, les heures ne lui durent point, toujours l’air libre et aisé, le sourire aux lèvres, point de lassitude, point d’impatience ni de hâte d’en finir, le sentiment très juste de ce qui convient, un esprit net et doux qui voit tranquillement les choses, ne se décide jamais à la légère, mais entre deux conseils discerne le meilleur et s’y attache. Je crois qu’on trouverait difficilement une femme moins romanesque. Si elle rêve, c’est toujours à ce qu’elle fait ou à ce qu’elle doit faire, elle n’a jamais eu de pensées inutiles ; quoi qu’il lui arrive ou quoi qu’elle se propose, ses désirs ne vont pas au-delà du possible. Comment pourrais-je m’entendre avec elle, moi qui n’ai jamais aimé que ce qui n’est pas, ni jamais désiré que ce qui ne peut être ? « Il est une chose toutefois que mon père, mieux informé, n’aurait pu pardonner à Mme d’Azado, c’est son mariage. À dix-sept ans, elle a épousé un vieillard en enfance. Comment justifierez-