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parlement au milieu desquels ils se trouvent plus ou moins confondus. Il y a des métiers qui sont passés de mode en Angleterre, et parmi eux celui de courtisan appartient surtout à l’histoire d’un autre âge. Aujourd’hui toute ambition un peu haute sait parfaitement que la faveur du souverain n’est plus la source des véritables dignités ; c’est à la chambre et par conséquent à la nation qu’il faut plaire, si l’on tient à exercer une influence sur la direction des affaires publiques. Quoique ministres de la reine en vertu d’une fiction légale, les membres du cabinet sont bien par le fait les ministres du parlement. Sortis des rangs de l’assemblée et délégués le plus souvent par les circonstances, ils ne s’appuient que sur une majorité flottante qui peut d’un jour à l’autre leur échapper. Sans cesse aux ordres de la chambre, le gouvernement est non-seulement condamné à toujours avoir raison, mais encore à faire partager aux autres sa manière de voir. Il n’existe qu’à ce prix, et du moment où la force de persuasion vient à lui manquer, il disparaît. Dans le langage de nos voisins, changer de ministres, c’est changer de gouvernement : le reste est toujours hors de cause et habite ces hauteurs idéales que les orages politiques ne sauraient atteindre.

Toutes les opinions sérieuses attendent d’ailleurs leur jour avec confiance. Sous ce régime viril de la liberté, les partis acquièrent bientôt un esprit de discipline qui assouplit la raideur des idées et calme l’impatience du succès. Toujours prêtes à recevoir du gouvernement ce que peut lui arracher la force des choses, les minorités se montrent après tout assez tolérantes sur la nature et l’étendue des concessions. Nos voisins ne dédaignent ni les petits gains dans le commerce, ni les minces conquêtes en politique : aussi sont-ils devenus riches et libres. Dans un pays où tout progrès de la démocratie est une victoire de la raison sur d’anciens privilèges, les minorités, quand le moment est venu, se grossissent tout à coup des énergies de la volonté nationale et de l’impérieux concours des événemens. Un fait, si je ne me trompe, a beaucoup nui en France aux essais de gouvernement constitutionnel, c’est que les ministres du roi sortaient presque toujours du même côté de la chambre et que certains noms, en s’approchant du pouvoir, répandaient dans le monde des affaires une vague inquiétude. Il en est tout autrement dans la Grande-Bretagne, où le gouvernement se déplace souvent deux ou trois fois durant la même session et où les hommes n’inspirent en réalité aucune terreur. Cette satisfaction donnée à toutes les idées qui ont des racines dans la chambre et dans le pays est à mon avis une des grandes causes de stabilité pour les institutions anglaises. L’épreuve du maniement des affaires enlève d’ailleurs aux partis l’un après l’autre beaucoup de leur prestige et les tient pour ainsi dire en équilibre. Un conservateur anglais qui