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mouvement il faut une autre impulsion. De 1837 jusqu’à la mort du prince Albert, la reine Victoria se rendait tous les ans au sein du parlement pour y lire le discours du trône. Un sentiment que tout le monde respecte en Angleterre avait fait pour quelque temps interrompre cet usage, qui a été repris à l’ouverture de la nouvelle chambre, en 1866[1]. La reine entre dans le palais de la représentation nationale par la tour Victoria, et aux deux côtés du vaste porche, dont la grille s’ouvre pour la recevoir, de grands lions héraldiques, couronne en tête, dressés sur leurs pattes de derrière, lui présentent fièrement l’écusson du royaume-uni. Elle passe et se rend dans son vestiaire (queen’s robing room), où les dames d’honneur la couvraient autrefois du manteau royal. Aujourd’hui que le deuil de la femme a en quelque sorte assombri la reine, ces insignes de la majesté s’étalent en forme de draperie sur le trône qui s’élève dans la chambre des lords, et il serait difficile d’imaginer l’effet produit dans cette salle par la masse des dorures, les murailles couvertes de fresques et les douze fenêtres ogivales à vitraux qui assourdissent la lumière tout en la revêtant de mille couleurs éclatantes. Vers deux heures, la porte s’ouvre, et les hérauts s’avancent, portant la couronne et l’épée de l’état sur un coussin de velours cramoisi. A l’arrivée de la reine, les pairs, rangés sur leur siège par ordre de dignité, se lèvent. C’est alors que l’huissier de la verge noire (usher of the black rod) se présente dans la chambre des communes, et invite les membres de cette assemblée à venir entendre le discours royal. Les députés qui veulent bien se rendre à cet appel s’échappent alors comme une bande d’écoliers. Effarés, curieux, bruyans, se poussant les uns les autres, ils accourent en désordre devant la barre de la chambre des lords. Il est curieux de voir quelques graves hommes d’état, pressés sans doute par la masse de leurs confrères, s’insérer dans les vides des boiseries sculptées, entre les lions rampans et les licornes. Quand le silence est rétabli, tous les regards se tournent vers le trône. La reine, en qui cette cérémonie réveille d’anciens et pénibles souvenirs, charge depuis deux années quelque grand de l’état, lord Cranworth ou lord Chelmsford, de lire le discours à sa place. Tout le monde sait d’ailleurs que, quelle que soit la voix, c’est toujours le ministère qui parle en pareille occasion. Cette lecture terminée, la reine se retire, et la session est ouverte.

Qui ne serait surpris de l’humble attitude des communes durant cette séance royale ? Quand on songe à la grandeur et à l’étendue

  1. Durant cet intervalle, le parlement était ouvert, comme on dit, par commission, et l’un des commissaires lisait le discours du trône, qui était alors une sorte de message.