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miers, et dont elle lui avait confié le règlement ; il partit de là pour faire à Didier le plus vif éloge de sa cousine.

— C’est une femme de tête, lui dit-il, et une femme de cœur, deux genres de mérite qui ne vont guère ensemble. Elle s’entend aux affaires comme il convient aux femmes, ni trop ni trop peu ; ce n’est ni une caillette, ni un praticien en jupons. Elle a le talent d’interroger et sait mettre à profit un bon conseil ; mais elle a besoin qu’on la dirige. Je la soupçonne d’avoir plus d’énergie dans les sentimens que dans la volonté, et il me plaît qu’une femme soit ainsi, qu’elle pense avec son cœur et qu’elle ait les idées des gens qu’elle aime... N’est-ce pas une pitié qu’une si charmante personne ait été jetée à la tête d’un vieil imbécile ?... Enfin il est mort ; que la terre lui soit légère... Vraiment votre cousine n’a pas eu de chance dans sa vie. Jamais fille, je crois, ne fut plus malheureuse en parens. Son père était un maître sot que la vanité menait, l’un de ces hommes qui prennent beaucoup de peine pour éviter le bonheur. Quant à madame sa mère, n’en parlons pas,... je vous la donne pour une véritable grue, pour la reine des pimbêches. Elle a eu, paraît-il, quelques galanteries qui font peu d’honneur à son goût ; la chronique d’outremer l’accuse d’avoir fait des folies pour un malitorne sans figure et sans tournure dont elle s’était coiffée. M’est avis que Mme  d’Azado l’est venue confiner à Nyons pour la mettre au régime. Quel agrément pour une fille de garder à vue sa mère !... Par bonheur, votre cousine n’est pas une de ces petites-maîtresses qui dorlotent leurs nerfs et les écoutent parler ; elle prend la vie comme elle est et le temps comme il vient, elle n’aime pas à rêver, elle ne s’appesantit pas sur ses chagrins, elle cherche bravement à s’en distraire, et c’est ce qui me plaît encore en elle. Je veux que les femmes ne se servent de leur imagination que pour s’aider à vivre, comme l’autruche ne se sert de ses ailes que pour mieux courir.

— Comme vous vous échauffez ! repartit Didier. Je vous promets de ne pas répéter à Mme  Patru le premier mot de ce que vous venez de me dire ; elle pourrait prendre votre enthousiasme en mauvaise part.

— Notez, je vous prie, que, si je vous vante le bon esprit de votre cousine, je ne vous ai pas dit un mot de ses yeux, qui méritent cependant qu’on les célèbre en prose et en vers. Je vous laisse le soin d’en définir la couleur.

— Ma cousine, répliqua Didier, m’a demandé quelques conseils sur les réparations qu’elle est en train de faire à sa maison ; mais je ne m’occupe guère de la couleur de ses yeux. Cela ne rentre pas dans mes fonctions, et, vous l’avouerai-je ? je ne m’étais pas avisé