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reconnaît de loin la couleur politique à la nuance des rubans ! Cette habitude anglaise d’afficher au grand jour les opinions n’intimide-t-elle point quelques personnes ? Ailleurs la principale inquiétude de l’électeur votant à livre ouvert serait sans doute de déplaire au gouvernement et d’être, comme on dit, mal noté ; mais on peut, je crois, affirmer que jamais une telle appréhension n’est entrée dans le cœur de nos voisins. Il n’y a point ici de votes factieux, et toute opinion peut se présenter dans la lutte avec confiance. Aussi les partisans du scrutin secret (ballot) s’appuient-ils sur un tout autre ordre de considérations. Ce n’est point l’influence de l’autorité qu’ils accusent, mais, selon eux, le scrutin secret serait à la fois un masque et une protection pour certaines consciences timides ou vénales qui dans l’état actuel des choses cèdent trop souvent à la pression des intérêts matériels. Les ouvriers dans les villes, les fermiers surtout dans les campagnes, peuvent en effet craindre quelque disgrâce de la part de leurs maîtres, s’ils votent contre le candidat de l’argent ou de la propriété foncière. D’un autre côté il arrive plus d’une fois que dans de petites localités un certain nombre de marchands s’abstiennent de prendre part aux élections pour ne point mécontenter leur clientèle en arborant une couleur. Quiconque n’ose point avouer son vote est-il d’ailleurs bien digne de voter, et peut-on en aucun cas se reposer sur sa bonne foi ? Beaucoup d’Anglais en doutent, et le ballot rencontre des adversaires même parmi les libéraux les plus avancés. Suivant eux, l’introduction d’une telle mesure tendrait à dégrader le caractère national, car de tout temps le vrai Breton a tenu à honneur de professer ses opinions le front haut et la poitrine découverte. Il y a bien en Angleterre comme partout des hommes étrangers par calcul aux affaires de leur pays ; mais l’indifférence politique, bien loin d’être un titre de faveur aux yeux de leurs concitoyens, est au contraire considérée comme une indigne faiblesse. On pense volontiers de ces individus sans opinion ce que disait autrefois Dante des anges neutres, « êtres sans infamie comme sans gloire, mais dont la vie est si basse que les termes manquent pour la définir. »

Les progrès du vote, sont annoncés d’heure en heure dans les divers quartiers de la ville par des affiches à la main collées à la porte des clubs, des public-houses et des autres établissements qui prennent un vif intérêt dans la lutte. Il est surtout curieux de voir ce qui se passe dans l’intérieur des comités électoraux. De moment en moment arrivent des messagers volontaires qui apportent des nouvelles. Quand tout va bien, une joie tumultueuse éclaté aussitôt parmi les assistans ; si au contraire le candidat adverse a gagné du terrain et se trouve maintenant en avance d’un certain nombre