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au-dessus des têtes, une sorte d’architecture vivante, des colonnes construites avec des hommes, tel est tout d’abord le spectacle que l’on découvre de la plate-forme occupée par les orateurs et leurs amis. Ceux qui parlent sur le continent de la froideur des Anglais ne les ont certainement jamais vus dans la vie publique. En face de leurs droits et de leurs devoirs de citoyens, ce ne sont plus du tout les mêmes hommes. Après une courte harangue du président, le candidat se lève ; quelques applaudissemens saluent en lui ses services reconnus et le choix du comité. Et pourtant c’est une rude charge que la sienne : il lui faut répondra non à des adversaires en chair et en os, mais à des interpellations écrites, à de petits morceaux de papier déposés sur la table du chairman par des mains ignorées. Il cherche des interlocuteurs, et il ne rencontre devant lui qu’un auditoire. Cette grave multitude a des orages et des silences profonds comme la mer. Parmi les questions qu’on adresse à l’orateur et qui sont lues l’une après l’autre par le président, il en est souvent qui ont un caractère personnel ; mais en général elles roulent sur des sujets politiques, les affaires du jour et surtout les matières qui devront être débattues dans le prochain parlement. La qualité qui réussit le mieux en pareil cas, surtout vis-à-vis des ouvriers anglais, est la franchise. Malheur à celui qui hésite et qui a recours à des déguisemens ! Si les discours et les réponses conviennent aux opinions de l’assemblée, les hourras éclatent. Nos voisins mettent de la force physique dans leur enthousiasme. Il est curieux de voir debout au milieu de ces vagues humaines qui le pressent et l’enveloppent de tumulte le candidat, souvent un faible et calme vieillard. Un océan de chapeaux et de mouchoirs agités tourbillonne autour de sa tête, et quoi donc a remué à ces profondeurs la foule, naguère si tranquille et si attentive ? le souffle de la pensée. De telles réunions ne sont pas seulement de grands spectacles : où trouver en même temps de plus admirables écoles d’éducation politique ? On touche dans ces assemblées à toutes les branches de la science sociale, des orateurs y discutent le présent et l’avenir ; comment s’étonner ensuite que les Anglais portent généralement dans les affaires de leur pays un jugement sage et éclairé ?

Un des grands vices du système électoral consacré par la loi de 1832, — et tout le monde en convient aujourd’hui, — était le manque d’unité. Il était fait, comme on dit, de pièces et de morceaux. Les élémens du suffrage variaient à chaque instant dans les villes et les campagnes. S’agissait-il de boroughs, les locataires payant 10 livres sterling par an pour le loyer d’une maison avaient le droit d’élire ; mais à côté d’eux, dans les anciens bourgs, se rencontrait