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Il n’est guère dans le pays de Mechanics’Institute, d’athenœum ou d’autre société littéraire qui n’ait son debating club, et il n’est aucun de ces clubs qui n’ait ses orateurs. On y discute le plus généralement des questions de morale, d’économie politique et d’histoire. Ce sont des salles d’armes pour l’esprit, où chacun se fortifie dans sa manière de voir par les efforts mêmes qu’il déploie pour faire partager aux autres ses convictions. Comme la plupart de ceux qui se mêlent dans ces débats sont des jeunes gens, ils acquièrent en outre par l’exercice l’art de choisir leurs argumens, de les fourbir en quelque sorte et de les manier avec adresse. Prompts à la réplique, hardis dans l’attaque et rompus à certaines formes de l’escrime oratoire, ils apprennent de bonne heure à profiter des fautes d’un adversaire, surtout quand ils ont de leur côté le bon droit et la justice. Il faut voir avec quelle ardeur tel débutant prend parti pour Marie Stuart contre Elisabeth, ou pour Cromwell contre Charles Ier. Ces figures appartiennent, il est vrai, au passé ; mais combien de fois les hommes et les choses du jour se trouvent tout à coup transportés sur le terrain de la controverse ! De telles sociétés sont souvent inconnues en dehors de la localité où elles florissent ; elles n’en exercent pas moins une grande influence sur certains esprits d’élite. C’est à l’une de ces écoles de discussion, le Tarbolton club, que s’était formé l’Écossais Robert Burns.

Les étudians des universités s’exercent de leur côté et à peu près de la même manière à l’art de discourir[1]. Il est facile de tourner un tel usage en ridicule, on peut trouver à l’éloquence de ces Pitt et de ces Fox en herbe deux légers défauts, — trop de rhétorique et pas assez de raisons ; mais qui ne découvrirait pourtant dans leurs luttes et leurs efforts une excellente préparation à la vie publique ? Le sens politique est pour les Anglais un don de nature que doivent développer dans la jeunesse les traditions de famille, les mœurs d’un pays libre et l’habitude des débats. Nos voisins sont d’avis que les nations qui renoncent à la parole sur leurs affaires et leurs intérêts perdent bientôt le goût de s’en occuper. Pour rien au monde, ils ne voudraient encourir une telle disgrâce : aussi n’est-ce pas seulement dans les debating clubs que trône la discussion ; il n’est guère de taverne qui n’ait son cercle de raisonneurs plus ou moins écoutés. Comme la police n’intervient jamais dans ces réunions et que

  1. Il existe, notamment à Cambridge, depuis plus de soixante ans, la célèbre Union debating Society, dont Macaulay, Bulwer, Thackeray, Tennyson et tant d’autres ont été membres durant leur vie d’étudiant. Cette société s’installait, il y a un ou deux ans, dans un nouvel édifice bien orné, bien meublé et pourvu d’une bibliothèque de huit mille volumes. L’Union représente à la fois un club soutenu par les souscriptions des étudians et un forum pour ceux qui veulent s’exercer au talent de la parole.