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de votre nouveau docteur. » Singulier langage qui jette un jour éclatant sur le caractère des œuvres du maître, oserai-je dire sur sa méprise fondamentale ? Au rebours des artistes vénitiens qui sacrifiaient trop l’idée à l’apparence, Cornélius par un autre excès a trop oublié que la pensée n’est rien sans la forme. Aussi les dessins du Campo-Santo, inspirés de Moïse et de saint Jean, ne sont-ils qu’une illustration, magnifique parfois et toujours colossale, des livres sacrés. On se rappelle l’effet que produisirent à l’exposition de 1855 les Cavaliers de l’Apocalypse, cette terrible chevauchée de la Peste, de la Famine, de la Guerre et de la Mort. La verve farouche avec laquelle sont caractérisées les puissances de destruction, la furie des mouvemens, le désespoir des victimes tombant sous le sabot des coursiers funèbres, le morceau tout entier empreint d’une horreur grandiose qui résumait dans leur expression la plus saisissante les qualités du maître, excitèrent une admiration légitime ; tout y était hardi, puissant, inventé. Les autres cartons n’atteignent pas la même hauteur. La Jérusalem céleste, exposée à Paris en même temps que les Cavaliers, est une composition poétique, et malgré ses proportions démesurées la figure de la fiancée n’est pas dépourvue de grâce ; mais il y a là des jambes bien mal faites, quoique ce soient des jambes d’ange, et l’ensemble ne présente pas cet équilibre des masses qui est une des conditions du style. La Prostituée de Babylone offre un assemblage de conceptions fortement rendues et de parties manquées ; le monstre symbolique avec ses têtes de serpens, de pourceaux et de diables n’est qu’un amas inextricable de membres que l’œil ne peut distinguer ni agencer, tandis que le groupe des morts est de l’effet le plus large. Ce carton est un notable exemple de l’incertitude de goût et de l’inégalité d’exécution qui déparent malheureusement la plupart des œuvres de Cornélius.

Il y a des choses que l’imagination peut associer dans le mobile océan de ses rêves, mais qu’on ne saurait présenter aux sens sous une forme arrêtée et palpable sans les choquer ; en d’autres termes, il y a des idées, acceptables tant qu’elles restent enveloppées dans un certain vague, qui deviennent absurdes dès qu’on tente de les réaliser et de les fixer par le pinceau. La peinture idéaliste a eu le tort grave de méconnaître souvent ce principe. Trop honnête assurément pour adopter, s’il eût pu la deviner, cette facile théorie qui dispense le génie de choisir et qui confère à l’artiste comme au poète le droit d’imposer à la foule profane, sans l’accepter pour juge, tout ce qu’enfante son cerveau, Cornélius, entraîné à la poursuite de conceptions tout idéales, s’est exposé pourtant à perdre de vue l’inviolabilité de certaines conditions pittoresques. Il n’a pas non plus toujours aperçu clairement que le champ de la peinture