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sur la pente d’une dégénération fatale. La fresque devait encore assurer aux créations du génie, si fragiles sur la toile et le bois, une durée indéfinie en les associant à la pierre. Tout cela s’est trouvé n’être qu’illusions. Loin de ranimer dans la foule le feu d’une admiration salutaire, la fresque l’a laissée indifférente. Faute d’aptitude où d’une préparation assez sérieuse, les artistes qui l’ont abordée semblent n’avoir visé aux qualités suprêmes que pour se dispenser des qualités plus humbles, mais nécessaires, d’une sincère imitation de la nature, d’une exécution correcte et soignée. Enfin, pour donner un démenti à toutes les prévisions, ces peintures, auxquelles une durée éternelle était promise, flétries à l’heure qu’il est, rongées par un climat qui n’est point fait pour elles, ou peut-être exécutées par des procédés imparfaits, demandent partout des restaurations ou s’émiettent déjà misérablement.

Cornélius, qui n’était pas un génie simple, a eu par surcroît la mauvaise chance de naître dans un temps où l’Allemagne était travaillée par une profonde agitation intellectuelle, et bouleversée, renouvelée, si l’on veut, dans son esprit par des systèmes épanouis au feu de la révolution. En s’abandonnant à son essor spéculatif, en s’enfonçant dans la critique du passé le plus obscur, on se flattait d’avoir atteint le vrai sens de l’histoire, des destinées sociales et religieuses de l’humanité. Tout, sous le jour de ces théories abstraites, prenait une signification plus profonde ; tout revêtait en quelque sorte une valeur éternelle, même les choses dont le temps, qui détruit tout, semblait n’avoir respecté que le souvenir, même celles qu’une critique dissolvante avait menacé de réduire en poussière ; la mythologie, les cosmogonies fabuleuses, comme les dogmes chrétiens, sortaient rajeunis de l’élaboration à laquelle on les avait soumis. La nature, la religion, la légende, l’histoire, n’étaient plus que l’enveloppe symbolique d’idées écloses après une incubation de quatre ou cinq mille ans dans quelques cervelles philosophiques. Ces clés magiques n’ont-elles pas faussé souvent les choses dont elles devaient donner le secret ? N’y avait-il pas une part de rêveries dans ces interprétations ? Je n’en jurerais pas ; mais le fait est que les écoles, les princes, les écrivains, tout le monde en était préoccupé, et que : les artistes ne crurent un moment rien faire d’assez grand, s’ils ne fixaient ces idées éternelles dans leurs œuvres.

Les sentimens qui sont l’étoffe de la vie humaine et que toute âme recèle, les idées les plus simples exprimées par les moyens les plus directs, voilà les sources de la grande peinture, lorsqu’elle veut être comprise des masses, et par ce mot j’entends non-seulement la plèbe ignorante, mais tous ceux-là qui ne font pas métier de philosopher. A force de charger la peinture de subtilités et d’en