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peinture, deviennent pour celle-ci un dangereux écueil. Cornélius a contracté dès lors l’habitude d’oublier les limites de son art, ou plutôt de croire qu’elles pouvaient être indéfiniment reculées, et que, pour avoir le même centre que la poésie, la peinture avait nécessairement la même circonférence. Cependant la différence qui distingue le tableau de l’illustration est radicale : si complexe que soit la dernière, elle trouve une explication facile dans le texte qui la commente, et l’artiste a le droit de compter sur les souvenirs encore présens du lecteur. Au contraire le tableau doit porter sa lumière en lui-même. Cornélius a trop souvent perdu de vue cette ligne de démarcation infranchissable, et il s’est laissé aller à l’illusion de croire qu’il n’était rien qui ne se pût exprimer sous des apparences visibles. Doué d’une intelligence que nulle difficulté ne prenait en défaut et d’un génie de combinaison qui se jouait à l’aise dans les données les plus abstraites, il a oublié de s’informer si le spectateur auquel il s’adressait était toujours en état de le suivre. Partout chez lui on devine plutôt qu’on n’aperçoit un courant souterrain d’idées, dont le murmure confus inquiète et irrite l’esprit au lieu de le charmer. Cornélius en vint à proclamer la souveraineté unique de la pensée ; noble, mais périlleuse doctrine dans un esprit que ne protégeaient pas contre les abus qu’elle peut entraîner un sentiment assez exigeant de la forme, un assez patient amour de l’exécution. Ses qualités natives, comme ses défauts, l’appelaient à la peinture monumentale ; il s’imagina que, en raison de sa nature et des dimensions qu’elle comporte, la fresque autorisait, réclamait même l’introduction d’une plus grande quantité d’idées ; il se proposa d’y déployer la richesse d’un esprit fourni des trésors les plus récens de l’érudition, et en faisant revivre cette peinture qui ne s’adresse pas au dilettantisme d’une élite blasée, mais qui parle à la foule des esprits, il entreprit d’y déposer des leçons dignes de la pensée contemporaine. L’entreprise était haute : reste à savoir si elle fut réalisée par les moyens les plus efficaces et dans les conditions les meilleures.

L’événement a prouvé, je crois, que l’émulation suscitée par les fresques des grands maîtres n’avait pas été assez réfléchie. On avait cru que cette peinture seule offrait un libre champ aux dons du génie, et peu s’en fallut qu’en voyant les peintres qui se distinguent surtout par la grâce, le Corrège, le Parmesan, déployer en l’abordant des qualités inattendues de force et d’élévation, on ne lui attribuât le privilège de communiquer ces dons. On avait cru également que, destinée à frapper les yeux des hommes assemblés, la fresque seule pouvait les subjuguer par la hauteur d’un enseignement commun, ramener en eux le goût du grand, arrêter ainsi l’art