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lorsqu’à la suite d’une catastrophe aussi soudaine qu’irréparable l’Allemagne, sentant le poids du joug étranger, se replia sur elle-même. La littérature et l’art remontèrent alors à ce qu’il y a de plus personnel et d’incommunicable dans le tempérament national. Le patrimoine d’idées et de sentimens commun à tous les peuples parut trop incolore et fut dédaigné de parti pris. On ne se laissa plus émouvoir, échauffer, éblouir que par le charme et la beauté des souvenirs nationaux. L’antiquité allemande fut le drapeau sous lequel se groupèrent tous les regrets, tous les mépris, toutes les haines ; on se prit à rêver des splendeurs disparues de l’empire allemand ; il fut convenu que l’art gothique était le seul art allemand, et la moindre dissidence fut stigmatisée comme une hérésie, souvent comme une trahison. Les légendes germaniques furent pieusement exhumées, et la découverte des Nibelungen saluée comme celle d’une source de vie nationale. On voulut être Allemand, rien qu’Allemand, comme si ce patriotisme rétrospectif eût compensé la perte de l’indépendance et possédé le pouvoir magique de rendre à la patrie la force et la liberté.

Les dessins du Faust et des Nibelungen, premières œuvres originales de Cornélius, procèdent visiblement de la tendance qui portait les esprits à se retremper dans la tradition. Dans le Faust, l’artiste ne s’est pas asservi à une reproduction littérale du poème, qui eût ôté à son interprétation toute spontanéité. Il tente plutôt d’opérer une sorte de résurrection poétique en s’efforçant de réveiller en lui l’âme endormie du passé avec ses naïves crédulités et ses émotions, et l’on reconnaît que ses véritables initiateurs sont plutôt les maîtres allemands du XVIe siècle, Wohlgemuth, Kranach, A. Dürer, que le poète son contemporain. Regardez-y de près, vous reconnaîtrez que, sur le fond archaïque de la légende, Goethe n’exprime guère qu’un ordre de sentimens et d’idées absolument modernes. L’artiste ne commet pas cet anachronisme, et si l’on peut revendiquer pour lui l’honneur d’avoir précisé dans l’imagination populaire, sous des traits qui ne s’effaceront pas, les figures du poème, d’en avoir fixé les types, on ne saurait soutenir qu’il ait toujours fidèlement interprété le texte qu’il avait à traduire. Par exemple, le vrai caractère de Méphistophélès, cette puissance satanique qui se déguise sous l’aisance d’une ironie cynique, mais spirituelle, et fait que, même en servant, il reste toujours le maître, ce vrai caractère a échappé à Cornélius. Non-seulement il s’est avisé, par un bizarre contre-sens, de donner à Méphistophélès des griffes, mais il a fait de ce personnage un valet de comédie, le Leporello d’un don Juan de mauvaise humeur. On cherche et l’on ne trouve pas dans l’artiste la délicatesse du poète ; la veine comique