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Pendant cet entretien, Mme Bréhanne s’était retirée dans son appartement et se faisait accommoder par sa soubrette. Elle reparut dans la salle à manger avec une toilette exorbitante pour la circonstance et qui dut bien étonner ces vieux murs aux tentures déchirées et les toiles d’araignées qui en garnissaient les corniches. Le repas fut silencieux. Didier se reposait de l’effort qu’il venait de faire ; Lucile était pensive ; sa mère regardait à chaque instant le plafond d’un œil inquiet, comme si l’épée de Damoclès eût été suspendue sur sa tête. Après le dîner, Mme d’Azado étant sortie pour donner quelques ordres : — Ouf ! s’écria Mme Bréhanne en se renversant dans une bergère, quelle étrange lubie a pris à ma fille de venir se retirer dans cette affreuse masure ! Vous avez beau dire, monsieur, ces murailles ne sont pas solides ; il me semble à tout moment qu’une poutre va se détacher et me tomber sur la tête.

— Voilà une idée à laquelle vous devez tenir, madame. Ce sera pour vous une source d’émotions bienfaisantes ; tant que vous penserez à cette poutre, vous ne vous ennuierez pas.

— Des araignées, des poutres qui branlent ! reprit-elle. Croiriez-vous que depuis deux ans votre cousine ne rêvait que de cette maison des Trois-Platanes ? Elle en parlait comme d’un Eldorado. Elle y a joué à cache-cache, la belle raison ! Songez qu’elle a cinquante mille livres de rente. Avec cela, on peut vivre partout. Le malheur est qu’elle n’a pas de besoins d’imagination ; je vous la donne pour la femme la plus positive de la terre ; l’occupation d’une maison à gouverner, d’un ménage à tenir, lui suffit, cette maison fût-elle perdue au fond des bois. Je vous en conjure, monsieur, venez à mon aide, tâchez de la raisonner, démontrez-lui qu’on ne vit qu’à Paris.

— Je n’ai point qualité pour me charger de cette démonstration, repartit Didier. J’estime que peu importe où l’on vit. Les araignées ne manquent nulle part, et il y a partout des poutres qui branlent.

— Il faut que vous ayez eu quelque peine de cœur. Vous me conterez cela. Ces propos nous aideront à tuer le temps. Vraiment vous n’êtes pas curieux ; vous ne me demandez pas pourquoi j’ai suivi ma fille. Que vous dirai-je ? une femme ne peut aller s’établir toute seule à Paris quand elle n’y connaît âme qui vive. J’y ai fait des séjours autrefois, mais je passais mes journées à courir les magasins. M. Bréhanne m’envoyait en France faire des remontes de chiffons. La toilette d’une femme de négociant sert de réclame à son mari. Par déférence pour ses désirs, je rentrais chaque soir à l’hôtel excédée de fatigue, les mains pleines, la bourse vide, mais avec le sentiment très doux d’avoir rempli un devoir. Adieu, paniers ! me voici morte et enterrée. Ah çà ! de grâce, à quoi s’amuse-