Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dilettantisme était bien connu, avait étrangement monté les têtes parmi les artistes allemands. Les vastes projets qu’il annonçait, l’exagération de ses éloges, les promesses dont il n’était point avare, exaltaient toutes les espérances et toutes les vanités. On voyait d’avance en lui le Mécène qui devait régénérer l’art et lui faire enfanter des merveilles. Une fête brillante, qui réunit tout ce qu’il y avait à Rome d’Allemands distingués, et à laquelle Cornélius contribua pour une bonne part en fournissant les dessins des décorations, fut donnée au prince dans la villa Schultheiss, et scella pour ainsi dire les fiançailles de l’art et de la royauté bavaroise. Ruckert a décrit dans une de ses poésies l’ivresse de cette soirée. Tous les cœurs avaient battu, et tous les rêves avaient pris l’essor, lorsque le prince Louis avait jeté pour adieux aux artistes en les quittant ce mot qui confirmait ses engagemens, d’ailleurs assez vagues : « Au revoir, messieurs, en Allemagne. » Il s’était engagé d’une manière plus précise avec Cornélius, dont il avait à plusieurs reprises visité les fresques au palais Zuccheri, examiné les dessins, et dont il avait suivi journellement les travaux. En attendant qu’il pût se l’attacher d’une manière plus étroite, le prince lui avait confié l’exécution d’une grande fresque à Munich, et Cornélius en préparait déjà les cartons. En même temps Niebuhr sollicitait et obtenait pour ce dernier du ministre prussien Altenstein la place de directeur de l’académie de Dusseldorf, et ne craignait pas de dire, non sans une évidente exagération, dans la lettre qu’il écrivait à ce sujet : « Cornélius est parmi les peintres allemands ce que Goethe est parmi nos poètes. » Le fait est qu’à l’âge de trente-huit ans, qu’il avait alors, après une longue période de recueillement studieux et de libres travaux, dans toute la force de son talent et avec toute l’audace de la jeunesse, Cornélius était en mesure d’entreprendre la vaste tâche à laquelle il allait être appelé.

Munich garde les monumens les plus considérables du génie de Cornélius ; les peintures de la Glyptothèque, de la Pinacothèque, de l’église Saint-Louis, voilà les seules œuvres sur lesquelles il soit permis de le juger en dernier ressort, et en les contemplant on se demande à quel point le grand artiste et l’art allemand tout entier sont redevables au mécénat du roi Louis. Il n’y a rien assurément que de louable dans l’ambition conçue par ce prince de faire de sa capitale un foyer d’inspiration nationale et d’y ouvrir une carrière à tous les talens. Toutefois, quand on observe à Munich ce bizarre entassement d’œuvres disparates dont la raison d’être échappe souvent, on ne peut se défendre de l’impression qu’elles sont nées d’un enthousiasme de parti-pris. Le défaut de spontanéité y trahit la main toujours pesante d’une protection capricieuse. Tout, jusqu’aux