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néanmoins un instant méconnue et sur le point d’être traversée par une intervention que Cornélius a lui-même racontée en détail. « J’avais seize ans lorsque mon père mourut, laissant une femme et sept enfans sans fortune nous dûmes, mon frère aîné et moi, songer à pourvoir aux besoins de la famille. C’est alors que de sages personnes firent entendre à ma mère qu’il vaudrait peut-être mieux me mettre en apprentissage chez un orfèvre que de me faire étudier la peinture à cause du temps que cet art exige et du grand nombre de peintres qui existaient déjà. Ma brave mère ferma l’oreille à ces conseils, et des ce moment sa confiance en mon avenir, la pensée que je pouvais être arraché quelque jour à un art que j’aimais, me remplirent d’une ardeur incroyable, et je fis en peu de temps des progrès qui promettaient bien plus que je n’ai tenu. » Les sages personnes dont parle Cornélius n’étaient autres que le directeur même de l’académie, Pierre de Langer, qu’il devait remplacer successivement à Dusseldorf et à Munich. En résistant à des considérations d’intérêt immédiat qui, venant d’une telle source, devaient avoir à ses yeux beaucoup d’autorité, la mère de Cornélius s’imposait de lourds sacrifices. Pour les alléger, il fallut bientôt que le jeune artiste tirât quelque parti de ses connaissances et acceptât de petits travaux, dessins d’almanach, bannières d’église, portraits au crayon. Si regrettable qu’il soit souvent de voir un talent réel exposé au péril de s’épuiser dans des besognes infimes, ces travaux de pur métier eurent peut-être cette fois un effet contraire en disciplinant une imagination portée au vagabondage et à l’exagération. Je ne puis néanmoins m’empêcher de remarquer que Cornélius n’avait pu recevoir jusqu’alors qu’une éducation générale très incomplète, et je me demande si ce défaut d’études premières a été sans inconvénient chez un artiste d’une intelligence avide et qui a tant donné à la pensée. Qui sait si une culture plus étendue et reçue à temps ne l’eût pas mis en garde contre les tentations dangereuses d’une érudition tardivement acquise, et si, mieux pourvu dès le début de connaissances indispensables, il n’eût pas échappé à l’influence des systèmes à la mode et à recueil des inspirations purement littéraires ?

Ce fut à l’occasion d’un concours ouvert à Weimar sous les auspices de Goethe par une société qui se proposait pour but avoué de combattre ce retour au moyen âge dont les Schlegel s’étaient faits les promoteurs que Cornélius exécuta ses premiers travaux. De 1803 à 1805, il envoya successivement à Weimar un tableau aujourd’hui perdu, Polyphème dans son antre, qui était peint en camaïeu, un carton à l’encre de Chine et au crayon blanc qui représentait le Genre humain pressé par l’élément de l’eau, enfin un dessin à la