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refroidie à son égard, la critique est revenue sur l’excès d’une admiration sans réserve ; les œuvres du maître ont été révisées une à une par des juges plus sévères, et ses créations nouvelles n’ont plus rencontré qu’un assentiment douteux. Bien que ses derniers travaux ne fussent nullement indignes de ceux qui paient fait sa renommée, il a dû supporter la rude épreuve de se voir mis en question de son vivant même, et il n’a plus conservé que cette gloire vague, ombre indestructible d’un nom illustre, reste d’un prestige qui a longtemps duré. Il a résisté à ces variations de la critique, à ces retours de la mode ; il n’a pas éprouvé un moment de trouble, et il est mort sans avoir rien perdu de l’intégrité de la foi première, avec la certitude d’avoir marché vers la vérité, de l’avoir quelquefois atteinte.

Cornélius a laissé après lui quelques adeptes fidèles de ses principes ; il n’a point proprement laissé d’école, et il n’est pas difficile d’en découvrir la raison. Lorsqu’en face des ruines que la révolution avait faites on se mit à chercher quelque chose de plus stable que les institutions humaines, on crut s’apercevoir que les grands ressorts du monde et de l’histoire ne sont ni des volontés individuelles, ni des caprices passagers, ni des hasards ; on les chercha dans des idées inflexibles comme des lois immuables comme la raison, et ce sont ces idées que Cornélius se proposa d’exprimer dans la peinture. Bientôt ces grandes synthèses en se multipliant s’ébranlèrent et se compromirent les unes les autres, l’expérience, se vengea de cette foi aveugle aux principes abstraits et infligea aux idées des humiliations répétées ; il fallut recommencer à se soumettre modestement aux leçons de la réalité, et ce retour atteignit la peinture comme tout le reste : elle redescendit du ciel sur la terre, elle sortit de l’éternité pour rentrer dans le temps, qui est son domaine, et alors a commencé pour Cornélius le délaissement. Au reste le malheur de n’avoir pas fondé une école est commun à bien des artistes de premier ordre ; ils ne passent point pour cela sans laisser après eux une longue trace de leur action. Le véritable artiste agit par ce qu’il est autant que par ce qu’il fait : l’ardeur qui l’anime suffit pour exciter les talens autour de lui et pour allumer l’étincelle chez ceux-là mêmes qui n’acceptent pas ses leçons. Quoi qu’on puisse penser de la tentative de Cornélius et quelque jugement que nous soyons conduit nous-même à porter sur son œuvre, on ne lui refusera pas d’avoir exercé une influence bienfaisante. Il a élevé pour un temps assez long le niveau de l’ambition parmi ses contemporains. Par la pureté de sa foi d’artiste, par la décision de sa volonté, par le grand élan qu’il avait pris, il a imprimé une vive secousse à l’art en Allemagne et même ailleurs. Si pendant une