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donné le plaisir de sauver du désespoir un ami de mon pèse en le cautionnant pour une somme considérable.

— Bien lui en a pris de n’être pas votre frère, reprit Randoce… Mais j’ai deviné votre secret. Vous êtes jaloux de moi, vous ne pouvez me pardonner mon talent… Brisons là. Faites-moi justice, et vous aurez mon estime. En attendant, permettez-moi de vous haïr et de vous mépriser, comme je méprise l’homme qui m’a lâchement abandonné, qui m’a voué de gaieté de cœur à tous les avilissemens de la pauvreté, qui a dit en m’appelant au monde : — Mon garçon, j’ai attrapé quelques heures de plaisir ; tire-toi d’affaire comme tu pourras…

— Ô le malheureux ! fit Didier en poussant un gémissement.

— Malheureux, oui, je le suis. Tout à l’heure Carminette était ici. Le son de sa voix m’est resté dans l’oreille. C’est tout mon avoir, toute ma fortune… — Et d’une voix de tonnerre : — Je vous le demande pour la dernière fois. Qu’avez-vous décidé ?

— Peut-être le saurai-je quand vous m’interrogerez sur un autre ton.

Randoce s’élança sur un trophée d’armes qui était pendu à la muraille ; il en détacha un pistolet.

— Prenez garde, il est chargé, lui cria Didier. Que voulez-vous faire ?

— Rassurez-vous ; qu’est-ce que je gagnerais à vous tuer ? répandit-il. Et fouillant dans un tiroir, il en tira une boîte, où il prit une capsule dont il coiffa la cheminée.

— Qu’avez-vous donc fait de votre sachet de lavande ? lui demanda Didier.

— Je n’y pensais plus, vous avez raison, dit-il en posant l’arme sur la table. Il ouvrit la fenêtre, s’appuya sur le rebord, respira la fraîcheur de la nuit, contempla le firmament. Il s’attendait que son frère profiterait de ses délais pour s’emparer de l’outil meurtrier et le mettre en sûreté. Didier ne bougea pas.

Enfin Randoce se redressa. Montrant de la main le ciel étoile : — C’est assez réussi, dit-il, mais c’est toujours la même chose. Il s’avança vivement vers la table, comme un homme qui a pris son parti ; il saisit le pistolet, regarda son frère, appuya le canon contre sa tempe droite et pressa la détente. La capsule partit, et ce fut tout. Le pistolet n’était pas chargé. Didier le savait… Et Randoce ? Il venait de mettre à la loterie, sachant qu’il y avait vingt bons billets contre un mauvais.

Ce qui est certain, c’est qu’avant de sortir de la chambre il jeta le pistolet à terre avec une telle violence qu’il en cassa le chien.

— Bon Dieu ! fit Didier en se frappant la poitrine ; quand donc