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PROSPER RANDOCE.

succulent repas qu’elle venait de faire, lui semblaient une maigre consolation des lugubres litanies qu’elle était obligée d’essuyer. Prosper s’efforçait en vain de l’attendrir. Il lui disait qu’elle était son âme, sa folie, son unique et éternel amour, qu’il ne pouvait vivre sans elle, qu’ils avaient été créés l’un pour l’autre, que depuis qu’il l’avait quittée, il avait perdu sa joie et son talent ; il lui rappelait tout ce qu’il avait fait pour elle, les beaux jours qu’ils avaient passés ensemble ; il lui promettait que, si elle consentait à le reprendre, elle trouverait en lui l’esclave le plus soumis, qu’il se donnerait à elle corps et plume, qu’il révélerait à son génie des secrets qu’elle ignorait encore ; richesse, gloire, bonheur, un avenir sans pareil les attendait, ils se devraient tout l’un à l’autre, jamais il n’y aurait eu sous la voûte du ciel un couple d’amans mieux assortis, un tel exemple d’inaltérable harmonie et d’idéale félicité. Carminette demeurait insensible comme un roc, elle ne répondait à tous ces discours que par des haussemens d’épaules, par des claquemens de langue qui signifiaient : balivernes que tout cela ! De temps en temps, pour se désennuyer, elle dessinait des ronds sur le parquet avec le bout de son pied, ou, jetant un coup d’œil dans la glace, elle rajustait une boucle de ses cheveux qui s’étaient défrisés. Quand elle vit paraître Didier, elle bénit ce secours inespéré qui lui arrivait, et fut tentée d’entonner le cantique de la délivrance.

— Ce pauvre homme a grand besoin d’une douche, dit-elle en montrant du doigt Randoce. Si le mal résiste, qu’on lui mette la camisole de force !

Et à ces mots, ayant fait à Didier un petit salut protecteur, elle traversa la chambre d’un air de duchesse ; mais comme elle ouvrait déjà la porte pour gagner au pied, son naturel reprenant le dessus, eile se retourna vivement, allongea le bras droit, exprima le fin mot de sa pensée par une de ces chiquenaudes hardies et pittoresques qui étaient le triomphe de son art. Celle-ci ne laissait rien à désirer ; à force de travail et de recherches, Carminette avait atteint la perfection. Randoce se releva d’un bond et, les poings serrés, voulut s’élancer après elle. Didier lui barra le passage ; Baptiste, qui l’avait suivi, vint à son aide ; ils eurent besoin de toutes leurs forces réunies pour contenir ce frénétique, qui se débattait dans leurs bras. Il finit par se rendre, cessa toute résistance, regarda son frère d’un œil morne, et, lui tournant le dos, il s’enfuit dans sa chambre, dont il tira les verrous. Pendant ce temps, Carminette était montée à cheval et s’éloignait en hâte, fort mécontente de tout, hormis de sa chiquenaude.

Randoce resta enfermé chez lui toute la soirée. Didier se trouvait