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rieur de la calèche, et il aperçut deux femmes, deux inconnues, qu’il salua légèrement. La plus âgée, qui était pâle de terreur, se mit, en criant à tue-tête, à réprimander vertement le cocher sur son inexpérience et sa maladresse. Didier allait s’esquiver ; mais la plus jeune, qui avait conservé tout son sang-froid, se pencha vers lui et lui adressa quelques mots de remerciement auxquels il fallut bien répondre. Il salua de nouveau, et il se retirait quand le premier clerc de M. Patru l’appela par son nom, et, l’ayant rejoint, lui remit une lettre que le notaire venait de recevoir pour lui. En entendant prononcer le nom de Peyrols, les deux femmes avaient échangé un regard.

— Monsieur Didier, cria la plus jeune en ouvrant la portière, vous êtes notre prisonnier. Soyez assez bon pour vous asseoir ici, en face de moi ; chemin faisant, vous tâcherez de mettre un nom sur nos figures.

— Montez, montez, ajouta sa compagne en souriant de l’air interdit du jeune homme ; mais pas une question ! ne consultez que vos yeux et vos souvenirs : nous verrons si vous avez hérité de l’esprit vif et pénétrant de votre pauvre père.

Après un instant d’hésitation, Didier obéit. L’ordre fut donné au cocher de mettre son cheval au pas pour traverser la ville. Les bras croisés, Didier observait attentivement les deux femmes, qui souriaient et ne disaient mot. L’une avait d’admirables yeux gris mêlés de fauve, d’une nuance indéfinissable, le regard d’une exquise douceur, une abondante chevelure d’un blond ardent et tirant sur le rouge, une de ces chevelures qu’aimait le Giorgione, le teint clair qui convient à ces cheveux.

— Voilà des yeux fort étranges et que je crois avoir vus autrefois, se disait Didier, que le désir de ne pas passer pour un imbécile aidait à secouer son indifférence. En réalité, ils sont gris, et cependant il y a de l’or dans ce regard comme dans ces cheveux. Lope de Véga n’a-t-il pas surnommé l’une de ses héroïnes la belle aux yeux d’or ? Assurément ce n’est pas une Espagnole qui est assise là, devant moi ; le bas de son visage m’en répond. La beauté française n’est jamais assez régulière pour ne rien laisser à faire à la physionomie. La personne que voici est une Française qui a longtemps séjourné hors de France, dans l’Amérique espagnole, pourquoi pas à Lima ?

Ensuite, s’étant tourné vers l’autre femme, qui, rencognée dans le demi-jour de la calèche, la tête penchée, jouant de la prunelle et de l’éventail, semblait attendre avec anxiété son verdict : — Un minois chiffonné, se dit-il, une coiffure très coquette, un pied de rouge sur chaque joue, de petites minauderies qui ont l’air d’avoir