Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/845

Cette page n’a pas encore été corrigée
841
PROSPER RANDOCE.

dans son drame les éblouissantes bigarrures. Un fils de Faust revenant du Pérou, quel événement ! quel prodige de l’art ! Il se grisa de ce grand et sublime dessein. Jusqu’à l’aube, il se vit en songe traversait des sierras plantées de palmiers et de cocotiers, au pied desquels naissaient des hyperboles grosses comme des courges et de splendides métaphores couleur de feu qui exhalaient des senteurs de tubéreuse et de magnolier.

Il se réveilla n’ayant en tête que le Pérou, et sa nouvelle folie le tint jusqu’à midi. Un billet que lui remit le facteur changea toutes ses idées et le fit revenir d’Amérique à toutes jambes. Carminette avait fait bon accueil à sa proposition ; elle se trouvait au bout de son répertoire ; comme on allèche une souris avec des noix, il lui avait promis trois chansonnettes ; elle s’était laissé prendre à cette amorce ; elle avait l’esprit délicat, elle aimait les fines épices et préférait la cuisine de Randoce à toutes les autres. Avec cela, Carminette s’était mis dans la tête que Prosper lui avait écrit de l’aveu et probablement à la prière de Didier ; elle se figurait que son envoi avait produit de l’effet, que le contempteur de ses charmes s’était subitement ravisé, que les écailles lui étaient tombées des yeux et qu’il mourait d’envie de renouer avec elle dans l’espérance de rattraper l’occasion perdue. Elle se promettait d’arriver au Guard armée de la plus superbe indifférence, et de tourner impitoyablement le couteau dans le cœur de sa victime. Ce jeu souriait à son humeur de guépard. Elle écrivait à Randoce : « Mon bon, c’est entendu. J’irai te voir chez ton ami pas plus tard qu’après-demain. Tu ne me parleras que d’amitié ; je suis devenue sérieuse, vois-tu, et je ne veux plus vivre que pour l’art ; c’est un mot de toi que j’ai retenu. Ton Didier ne pourrait-il pas m’apporter les clés de son château sur un plat d’argent ? Ses vassaux feraient la haie ; j’aimerais qu’ils fussent poudrés. S’il est gentil et qu’il fasse bien les choses, je lui chanterai toutes les turlutaines qu’il lui plaira. Sans rancune, ta vieille amie. »

— Adieu le Pérou et les cocotiers ! dit Randoce en repliant ce billet. Carminette for ever !

XXVI.

En quittant le salon, Mme d’Azado s’était enfuie dans sa chambre, où elle avait passé de longues heures livrée au plus profond abattement. Depuis quelques jours, elle caressait de chères espérances, et tout à coup ce réveil, cette surprise, ce retour offensif du malheur !… Elle regarda longtemps le portrait de Carminette, qu’elle comptait restituer de sa propre main à Didier. Voilà donc, pen-