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REVUE DES DEUX MONDES.

Ma franchise vous offense ? J’oublie l’abîme que la société met entre nous ? Ce n’est pas une raison pour me manger le blanc des yeux. Oubliez de grâce que vous êtes mon demi-frère ; autrefois vous .me traitiez poliment.

Didier alla droit à lui en lui tendant la main. — Vous savez, dit-il, qu’il ne tient qu’à vous de trouver en moi plus et mieux qu’un demi-frère. Quand donc prononcerez-vous le mot qui nous mettra de niveau ?

Prosper détourna la tête et fourra ses mains dans ses poches. — Nenni, dit-il, je ne sais pas mentir. Pourquoi ferais-je semblant de vous aimer ?

— Bah ! vous y viendrez peut-être, repartit Didier avec un serrement de cœur.

En ce moment, Marion entra et lui remit deux plis. L’un, timbré d’Avignon, renfermait une lettre qu’il parcourut d’un œil soucieux. Un vieil ami de son père, qui se trouvait dans l’embarras, faisait un appel pressant à son crédit et le suppliait de le cautionner pour une somme considérable. — Me voilà obligé de partir pour Avignon, fit-il en repliant la lettre.

Pendant ce temps, Prosper examinait la suscription de l’autre pli. Il avait reconnu l’écriture et poussé un cri de surprise. — Ouvrez donc vite ce pli, dit-il à son frère. Je suis bien trompé, ou il renferme quelque chose de plus intéressant que tout ce qu’on peut vous mander d’Avignon.

Didier déchira l’enveloppe et en tira une photographie. — C’est le portrait de Mlle Carminette, dit-il ; elle a donc la bonté de se souvenir encore de moi.

En effet, c’était bien Carminette, mais Carminette dans sa gloire, Carminette après sa mue, une Carminette remplumée, pimpante, faisant la roue, la crête haute, portant dans tous ses traits le noble orgueil de ses triomphes. Didier ne se trompait pas ; elle avait la bonté de se souvenir de lui. Les ruines de Volney lui étaient restées sur le cœur ; elle n’avait jamais pu digérer le cruel affront que l’insolent avait fait à ses charmes ; au fort de ses succès, elle y songeait de temps en temps, — et par vengeance elle avait imaginé d’envoyer à Didier sa carte .de visite, pensant lui donner de cuisans regrets et qu’il s’écrierait avec stupeur : — Voilà donc ce que j’ai refusé… « Ce qu’une nuit t’a offert, a dit le poète, l’éternité ne te le rendra pas. »

Didier ne fit que passer les yeux sur cette photographie, et la jeta de côté. Randoce s’en empara aussitôt en disant : C’est ainsi que vous fêtez ce précieux portrait ! Puis il fut s’asseoir avec son trésor dans l’embrasure d’une fenêtre, et pendant que Didier relisait la lettre de son correspondant d’Avignon, il s’écria : — Vous