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l’aborder avec ce mot : Je suis votre frère. La parfaite sincérité est la meilleure des politiques ; les cœurs les plus rebelles ont peine à lui résister. Grâce à sa diplomatie, Prosper n’avait pu voir en lui qu’un important qui s’arrogeait le privilége de lui donner des conseils, ou un niais qui venait à l’étourdie se jeter dans ses filets. L’importance est odieuse, la niaiserie exploitable à merci. Il avait mis la conscience de son frère au large et son ingratitude à l’aise.

Ce qui l’étonnait le plus, c’est qu’il raisonnait de sang-froid sur la conduite de Randoce. Plus de colère, plus de mépris : les passions violentes répugnaient à sa nature ; après un court bouillonnement, son âme était retombée dans son inertie ordinaire. Il ne lui était resté qu’une sourde mélancolie, le chagrin d’avoir échoué par deux fois dans une mission qu’il avait à cœur, le sentiment amer de son impuissance et de ses maladresses, où se trahissait l’apprenti qui jamais ne passera maître ; mais, comme une neige fond au soleil, son courroux s’était évanoui. Il y avait dans son cœur une fuite invisible par laquelle tout s’échappait ; affections, haines, douleurs et joies, ce cœur infidèle ne pouvait rien garder : la vie le gênait, il ne respirait que dans le vide. En ce moment, un nuage roussâtre s’était arrêté au milieu du ciel, et sous l’influence d’un ardent soleil d’été il semblait se dissoudre ‘peu à peu dans l’air. Didier voyait cette masse opaque se rétrécir et s’échancrer d’instant en instant, comme rongée par la lumière ; bientôt ce ne fut plus qu’un flocon, le flocon devint un point, et ce point disparut. Il reconnut dans cette nue disparaissante l’image de ses sentimens ; ils s’évaporaient sur place, et ses orages intérieurs se dissipaient par enchantement, sans que la foudre eût grondé, sans que l’éclair eût sillonné la nuit.

Cependant Didier cessa de raisonner ; l’inquiétude le reprit. Il fit pour la seconde fois le tour de la plate-forme. Chemin faisant, il aperçut à terre près d’une touffe de lavande un papier qu’il ramassa : le papier était couvert d’un griffonnage au crayon, et Didier n’eut besoin que d’y poser les yeux pour reconnaître les pattes de mouches de son frère. L’un des côtés du feuillet ne portait que ces quatre mots placés les uns au-dessous des autres : sort, mort, silence, immense. Sûr de sa mémoire, Prosper, en composant des vers, n’écrivait d’habitude que les rimes. Sur le revers, on lisait :

« À l’horizon, dans la direction du Rhône, nuages gris de perle, teintés de rose, espèce cumulus. Placer ces nuages dans la scène in de l’acte II…

informer comment se nomme un gros oiseau tacheté de blanc, qui vole par saccades ; ce volatile peut servir. L’ajouter à la liste de mes en-cas.

« Amener le fils de Faust au sommet du Devès. Il veut se tuer,