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yeux qui battaient le rappel ; en voyage, c’était un roulement perpétuel, et Mme d’Azado devait s’occuper sans cesse de la tenir en bride, de réparer l’effet de ses indiscrétions, de mettre la sourdine à son tambourin.

Didier éprouvait une sympathie croissante pour sa cousine ; il était frappe de la conformité de leurs situations : la destinée leur ayant donné à tous les deux une brebis à paître, ils étaient aussi embarrassés l’un que l’autre de l’ouaille incommode dont ils avaient pris la conduite. Il y avait cependant cette différence entre eux, qu’il pensait en avoir fini avec son frère, et que Mme d’Azado avait passé avec sa mère un bail à terme indéfini. Lucile ne se départant pas de sa réserve, il fit semblant de croire à sa gaîté et qu’elle n’allait à Paris que pour son plaisir. Comme elle se proposait de visiter au retour les bords du Rhin et la Suisse et qu’il avait fait ce voyage, il lui traça son itinéraire, lui recommanda les sites qui l’avaient intéressé. Mme Bréhanne écoutait leur entretien sans y mêler son mot : elle avait décidé que Didier était incapable de la comprendre ; mais tous les noms de châteaux qu’il prononçait lui faisaient battre le cœur et se gravaient dans sa mémoire. Serait-ce au Gutenfels ou au Rheinfels qu’elle rencontrerait son libérateur ?

Lorsque Didier se leva pour partir, Mme d’Azado lui dit : — J’ai une faveur à vous demander. Vous me ferez plaisir en venant une ou deux fois pendant notre absence donner un coup d’œil à ce qui se passe ici. Je serais heureuse de retrouver tout en bon état.

— L’étrange commission que vous donnez à votre cousin ! dit Mme Bréhanne. Il a de bien autres affaires en tête.

— Quelles affaires, madame ? demanda Didier. Je ne connais pas d’homme moins affairé que moi.

— Il faut se défier de l’eau qui dort, répliqua-t-elle. Les langues ne manquent pas dans ce pays, et nous avons des oreilles. À ces mots, elle sortit en riant. Didier se retourna vers sa cousine, qui le regardait : — Je ne sais ce que veut dire Mme Bréhanne, fit-il ; mais, quoi qu’on ait pu vous conter, j’espère que vous n’en croyez rien.

— Que vous importe ? Vous êtes indifférent aux critiques comme aux éloges.

— Vous êtes peut-être la seule personne dont l’opinion ne me soit pas indifférente, répondit-il avec quelque vivacité.

Elle parut hésiter un moment, puis elle lui dit : — Mon opinion très sincère est que vous vous connaissez comme personne à toutes les choses de goût, et que si vous daignez vous occuper un peu de mes plates-bandes, j’aurai, dans six semaines, du plaisir à les revoir.