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s’habituer au pouvoir. — Mais n’est-il pas à craindre que ces cinq cents personnes, en se réunissant ensemble pendant une année, ne prennent une idée exagérée de leur importance, et ne soient tentées de s’attribuer plus d’autorité qu’il ne convient ? Pour échappera ce péril on les divise, on les morcelle ; ils sont partagés en dix fractions de cinquante membres. Chacune d’elles s’installe, à son tour au prytanée et administre pendant un mois, tous les matins, ces cinquante citoyens tirent au sort parmi eux. Celui que le sort favorise est le président du sénat et de l’assemblée ; il peut passer pour le chef nominal et le représentant de la république ; mais ses fonctions ne durent qu’un jour, et elles ne peuvent pas se renouveler. Que de précautions ! et cependant elles finirent par ne pas sembler suffisantes. On se méfia de ce chef d’une journée, et l’on prit des mesures pour diminuer son pouvoir, déjà si borné. En créant les proèdres, on lui enleva les seules fonctions sérieuses qu’il exerçait, la présidence des assemblées du sénat et du peuple.

A coup sûr, il n’y a jamais eu de gouvernement où l’autorité ait été moins forte et moins concentrée ; aucun n’a moins rempli les conditions qui nous semblent les plus nécessaires pour gouverner un pays. Comment donc celui-là a-t-il pu fonctionner et vivre ? M. Perrot le fait bien comprendre. Il montre qu’il avait sinon en lui-même, au moins près de lui, quelques élémens conservateurs, et ce qui est assez piquant, c’est qu’il trouve ces élémens de stabilité là où beaucoup d’historiens ne voient que des causes de ruine. Depuis Aristophane, il est d’usage d’accuser les orateurs, de tous les maux d’Athènes. C’était, comme on sait, une vingtaine de personnes, plus instruites dans les affaires, plus éloquentes que les autres et mieux écoutées du peuple, qui n’avaient pas d’autre métier que de s’occuper de politique et qui y consacraient leur vie. Sans titre officiel, sans autorité que celle de leur talent et de leur caractère, les orateurs menaient l’assemblée du peuple, qui menait tout le reste. En réalité, ils gouvernaient Athènes. M. Perrot fait voir que, s’il a pu y avoir parmi eux « des brouillons présomptueux doués de quelque faconde et d’une assurance qui pouvait faire illusion aux badauds, » c’étaient en général des hommes d’état qui étudiaient les questions en litige, qui savaient les précédens et continuaient les traditions, ils apportaient donc un peu d’ordre et de suite dans cette démocratie mobile et passionnée, trop occupée du présent pour profiter des enseignemens du passé. Il s’était fait entre eux une sorte de partage d’attributions ; chacun avait sa spécialité, et, suivant la question qu’on traitait, prenait la parole avec plus d’autorité que les autres. M. Perrot les appelle de véritables ministres ou secrétaires d’état. « Périclès fut en quelque manière le premier ministre d’Athènes, un président de cabinet qui resta plus de vingt ans dans cette haute situation. En Démosthènes, Athènes eut, de 352 à 322, comme un ministre des affaires étrangères, un instant tombé du pouvoir