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fois constatée, l’Allemagne entière vous rendra responsables de la confusion dans laquelle vous l’aurez jetée en entravant son organisation. » Enfin sa bonne fortune lui a offert à point nommé l’incident du Luxembourg, qu’il a eu soin d’entretenir aussi longtemps qu’il a eu besoin de fermer la bouche à ses adversaires au nom de l’honneur national. Cette tactique a fait passer la constitution à peu près telle que l’avait proposée M. de Bismark ; mais elle n’a pas empêché tous les élémens encore disparates d’une puissante opposition de se compter et de se rapprocher. La victoire du premier ministre prussien a été incomplète, et malgré les défaillances du parti libéral quelques-unes des luttes parlementaires auxquelles la discussion rapide de la constitution a donné lieu sont d’un bon augure pour l’avenir. M. de Bismark a retrouvé devant lui cette fameuse question militaire, cause de sa longue querelle avec la chambre prussienne, et l’acharnement avec lequel on s’est disputé, sans qu’aucun parti remportât le succès, prouve qu’elle sera désormais en Allemagne la pierre de touche qui distinguera les gouvernements constitutionnels des gouvernements absolus. Cette question est assez importante pour que la suprématie du despotisme ou des idées libérales dépende de la solution qu’elle recevra.

Il s’agit de savoir si le contingent militaire sera fixé par la constitution même, et si, une fois ainsi fixé, le roi pourra, sans l’intervention du parlement, lever chaque année les hommes et l’argent nécessaires au maintien de l’armée, ou si, comme cela se pratique même dans les états les moins parlementaires, le contingent et le budget de la guerre seront votés annuellement par les représentans de la nation. C’est en dernière analyse la question de prépondérance entre le parlement et le pouvoir exécutif, entre la volonté d’un seul et la volonté populaire, entre le gouvernement personnel et le gouvernement national. Sur le terrain ainsi élargi, la Prusse n’a pu faire consacrer le principe absolutiste par l’assemblée malgré tous les ressorts qu’elle a mis en jeu. Par une transaction qui retardé la question sans la résoudre au fond, la loi militaire a été votée pour cinq ans. L’avenir du parti libéral a été ainsi sauvegardé, et dans cinq ans, s’il est plus fort, il pourra, sur le terrain ainsi préparé, faire triompher définitivement ses principes.

Ce demi-succès, qui est tout ce qu’il pouvait obtenir aujourd’hui, prouve qu’il n’est pas mort, qu’il peut se reconstituer et rentrer dans l’arène, plus fort même qu’il n’a jamais été, grâce à l’unification de l’Allemagne, grâce à la tâche plus grande et plus difficile qui lui est désormais imposée. Pour cela, il peut rallier des recrues sur lesquelles il n’avait pas le droit de compter il y a un an. Le parti conservateur a été encore plus désorganisé que lui. Beaucoup d’honnêtes gens blessés dans leurs sentimens et troublés dans leurs convictions par la politique du roi de Prusse, qu’ils regardaient comme la personnification de leurs idées, sont franchement devenus libéraux. Des intérêts puissans demanderont à la