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vrai, rapidement terminée ; mais les souffrances qu’elle a causées ne pouvaient être effacées d’un trait de plume. Les balles et le choléra ont fait de nombreuses victimes dans toutes les classes de la société ; le deuil est entré partout. L’appel de tous les hommes valides a porté dans l’agriculture, l’industrie et le commerce un trouble dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. La perspective d’une nouvelle guerre répugne bien plus aux Allemands depuis qu’ils ont appris dans la dernière quelles horreurs elle entraînerait avec elle. Cette soif de batailler que l’on suppose devoir animer tout soldat n’est même pas générale dans les armées allemandes. Le souvenir de cette dernière campagne est encore trop récent chez celles qui ont combattu alors les Prussiens pour qu’elles désirent aujourd’hui servir sous leurs ordres. Quant à l’armée prussienne, elle se vante moins de Sadowa en 1867 que de Düppel en 1865 : c’est que jusqu’à l’année dernière sa valeur, dont elle avait le sentiment, n’était pas généralement reconnue en Europe. Elle avait besoin de l’affirmer, et seule n’avait pas trouvé l’occasion de le faire dans une grande guerre européenne. Plus les lauriers cueillis dans le Danemark étaient maigres, plus elle sentait le besoin de les faire valoir. Aujourd’hui au contraire qu’elle a gagné la bataille la plus décisive depuis Waterloo, qu’elle est le point de mire des militaires du monde entier, et qu’en même temps elle sait par expérience combien sont grands les hasards de la guerre, son langage a changé. Enfin dans toute la nation allemande prise en masse ceux qui espèrent quelque avantage d’une nouvelle lutte sont bien peu nombreux ; ceux qui ont gagné aux derniers événemens veulent en recueillir à loisir les fruits, ceux qui ont perdu attendent du maintien de la paix l’occasion de réparer leurs pertes.

Mais, si les Allemands désirent achever tranquillement l’œuvre de leur unité nationale, ils sont pour cela même très jaloux de toute ingérence dans leurs affaires intérieures. L’idée de reprendre l’Alsace et la Lorraine ou d’annexer la Hollande n’a jamais passé aux yeux des Allemands que pour une chimère sortie du cerveau de quelque professeur d’histoire ; mais ils ont aussi leur doctrine Monroë : « l’Allemagne pour les Allemands, » et quiconque y portera atteinte, non-seulement en s’emparant d’une partie de ce territoire, dont l’ensemble compose leur grande patrie, mais même par une simple intervention dans leurs affaires intérieures, est assuré de les réunir tous contre lui. C’est un fait qu’il serait inutile et absurde de se dissimuler. De là une susceptibilité qui peut à chaque instant être exploitée par le gouvernement prussien, si celui-ci cherche l’occasion d’une rupture. Quand M. de Bismark, après avoir approuvé l’achat du Luxembourg, a dégagé sa parole en alléguant l’opinion allemande, soulevée contre ce marché, on l’a accusé de mauvaise foi, on a prétendu que ce mouvement d’opinion était factice et improvisé par lui. Cette fois on l’a calomnié, l’explosion était réelle ; mais c’est le jour où il avait promis sa connivence que M. de Bismark peut bien n’avoir pas