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des sujets prussiens, mieux vaut le devenir tout de bon et en avoir aussi tous les avantages ; » mais l’on redoute les allures despotiques de son administration, et les difficultés de tout genre qu’elle rencontre dans les provinces qu’elle s’est appropriées n’encouragent pas dans les pays voisins les partisans de l’annexion, En effet, il n’y a point dans les petits états de la confédération du nord cette grande machine administrative nécessaire à l’établissement d’un despotisme centralisateur, et celle-ci ne saurait s’y établir niaisement ni rapidement.

Le mouvement de l’opinion est en sens contraire dans les états du sud de l’Allemagne, auxquels pèse cruellement l’isolement qui leur a été imposé par le traité de Prague. La ligne du Mein, tracée sincèrement par M. de Bismark, qui craignait de trop délayer l’élément prussien, n’a jamais été prise au sérieux par les Allemands. Elle n’aurait été possible qu’avec des factionnaires prussiens sur une rive et autrichiens sur l’autre ; mais, la puissance autrichienne une fois écartée, les stipulations de Prague n’étaient pour les états du sud qu’une sorte de pénitence, qu’une mise au piquet, comme disent les collégiens, dont tôt ou tard ils doivent être relevés. Les Allemands du sud auraient-ils pu combattre la domination militaire de la Prusse en se faisant les champions de la cause libérale en Allemagne, et imiter la Suisse et la Belgique, qui, à côté de puissans voisins, rachètent leur infériorité matérielle par la supériorité de leurs institutions ? Il est permis d’en douter. Pour faire flotter un drapeau, même celui de la liberté, il faut un certain vent, et aucun souffle ne serait venu déplier celui que les états du sud auraient élevé en face de la Prusse. En tout cas, leurs gouvernemens n’ont pas songé un instant à tenter une expérience aussi hardie. L’Allemagne du nord et celle du sud ne font qu’une seule et même nation, Ce n’est pas la question religieuse qui les divise.

Prenez en effet, par exemple, la vallée du Rhin et les provinces adjacentes ; dans le sud, le pays de Baden, Darmstadt et le Wurtemberg sont en grande partie protestans, tandis que dans le nord les provinces rhénanes et la Westphalie sont presque entièrement catholiques. Le sud de l’Allemagne vit par ses liens avec le nord. Ses capitales factices, Carlsruhe, Stuttgard et Munich, ses villes impériales, Ratisbonne, Augsbourg et même l’industrieuse Nuremberg, son unique université de Heidelberg, ne suffisent pas à lui donner une vie propre. Au point de vue commercial, le sud ne peut davantage se séparer du nord, où sont les cités grandes et prospères, les centres industriels, enfin les débouchés maritimes ; il le peut encore moins au point de vue intellectuel, car il en reçoit presque toutes les inspirations. Tout porte donc le sud à se réunir au nord ; il le veut à tout prix, et accepte pour l’heure la suprématie prussienne plutôt que de rester dans la situation actuelle. La demande inconsidérée d’une rectification de frontière, adressée par la France à la Prusse en août dernier, a suffi pour faire sentir aux gouvernemens du