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se peut, aussi fière que moi ; espère encore, espère en celui qui peut tout. Il est ma consolation au dernier moment, et j’ai trop besoin de penser qu’il faut bien que l’ordre existe quelque part pour ne pas croire à l’immortalité de mon âme. Il est grand, juste et bon, ce Dieu au tribunal duquel je vais comparaître, je lui porte un cœur sinon exempt de faiblesse, au moins exempt de crime et pur d’intention, et, comme dit si bien Rousseau, « qui s’endort dans le sein d’un père n’est pas en souci du réveil. » Réduits à la même extrémité, prêts à mourir comme Salles, que disaient ses amis ? Buzot écrivait à sa femme : « Je t’attends au séjour des justes. » — « Je me jette dans les bras de la Providence, » écrivait Pétion. — « Je me livre à la providence de Dieu, » dit Barbaroux dans une dernière lettre à sa mère. Ainsi pensaient en mourant ces hommes, dont leurs plus grands ennemis n’ont contesté ni le patriotisme ni le courage. Qui que vous soyez, vous qui en prononçant les mots de droit et de liberté vous attendez à courir l’orageuse carrière des révolutions, tenez-vous prêts à savoir, s’il le faut, mourir comme les girondins.

Ces leçons et ces exemples de la révolution elle-même doivent en effet être rappelés surtout à cette jeunesse qui se croit réservée à la continuer, et dont on dit qu’une partie prête l’oreille aux conseils d’une philosophie matérialiste, tôt ou tard compagne de l’indifférence politique. Des fanatiques d’un nouveau genre, trop bien servis par les pauvretés d’une réaction aveugle et par les excentricités du Syllabus, ont imaginé que le dernier terme du progrès social était la tradition d’Hébert et de Chaumette rhabillée en style germanique, et la prêchent avec un zèle obstiné à de jeunes adeptes préparés à tout accueillir par l’aversion d’un enseignement contraire, car les excès s’appellent l’un l’autre. Il s’établit dans un monde assez restreint, mais composé d’esprits ardens qui pourraient mieux faire, une sorte de conspiration contre les intérêts du ciel qui leur ferait trahir ceux même de la terre. Là tout est ramené, tout est subordonné à une seule chimère, l’extinction de l’idée religieuse dans l’humanité, sans qu’on s’inquiète de savoir si l’on n’anéantit pas l’idée de droit du même coup, car subsiste-t-il un droit au monde, si rien n’est sacré ? Ainsi le matérialisme attaquerait cette société par deux côtés, dans les classes supérieures le matérialisme pratique, ailleurs le matérialisme théorique. On raconte que ces choses sont vues d’un œil bienveillant par quelques autorités subalternes. Je le croirais sans peine ; rien, après l’hypocrisie, ne se résigne plus aisément que l’athéisme à la tyrannie.


CHARLES DE REMUSAT.