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nous qui n’avons aucun rapport à lui. » Ainsi parle un des hommes qui ont le plus illustré et rabaissé l’esprit humain ; mais Pascal est récusable. Il pensait avoir besoin du scepticisme d’ans l’intérêt de la foi. Il croyait trop que la petitesse de l’homme importait à la grandeur de Dieu. Et dans cette occasion il pousse si loin la hardiesse de son mépris pour la raison naturelle que d’abord ses éditeurs avaient mis ces paroles dans la bouche d’un incrédule et pris son argument pour une objection qu’il voulait combattre. Cependant c’était bien sa pensée, peu étrange, à vrai dire ; chez un contempteur de la philosophie ; mais qui pourrait croire qu’elle ait été reprise par des philosophes de profession et revêtue d’un appareil systématique par des écrivains également ennemis du doute et de l’athéisme ?

On sait en effet que, par une argumentation qui se ressent d’un commerce intime avec le plus grave des sceptiques et le plus austère des destructeurs, il est des penseurs religieux, des chrétiens dociles qui, enchérissant encore sur les témérités de Kant, ont didactiquement soutenu que non-seulement l’esprit humain ne pouvait comprendre et connaître Dieu, mais qu’il était incapable d’y penser. C’est de la pieuse Écosse que nous est venue cette doctrine qui donne pour base et pour objet à la plus importante des croyances une contradiction et un non-sens. C’est le plus original et le plus puissant des interprètes et des continuateurs de Reid qui a ainsi miné le fondement de la foi dans la notion la plus naturelle et la plus chère à notre âme. Sir William Hamilton a établi nettement que, le déterminé, le relatif, le fini, étant la condition de toute pensée, Dieu ou l’être illimité, absolu, infini, inconditionné, ne pouvait dans aucun cas être l’objet de la pensée, encore moins d’une notion philosophique qui supportât l’analyse. C’est, il l’avoue, une conviction primitive que celle de l’existence de Dieu ; il y a obligation et nécessité d’y croire, mais impossibilité de le connaître, car nous ne pouvons rien concevoir que de limité et de conditionnel, et la notion de Dieu, c’est-à-dire de l’être infini, absolu, n’est que la négation du concevable en lui-même ; ces deux mots, l’infini et l’absolu, ne sont que les noms de deux contre-faiblesses (counter-imbecilities) de l’esprit humain. Le professeur de l’université d’Oxford qui a transporté dans la haute théologie la philosophie de Hamilton, le Dr Mansel, non moins hardi que son maître, a dit formellement que les deux mots incriminés sont, comme l’inconcevable et l’imperceptible, des noms qui désignent, non un objet de pensée ou de conscience quelconque, mais la pure absence des conditions auxquelles la conscience est possible. « Notre devoir est de croire en un Dieu personnel et en un Dieu infini, et une personnalité infinie est une contradiction dans les termes, en sorte que la