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question, et dans les régions dont nous parlons la présence des forêts est nécessaire, bien moins comme ressource commerciale que comme garantie de sécurité en raison de l’influence qu’elles exercent sur le régime des eaux et de la résistance qu’elles opposent aux ravages des torrens. On peut au Champ de Mars se faire une idée de cette action par l’examen comparatif des plans en relief d’une partie des montagnes du Hohwald dans les Vosges et du bassin du Labouret près de Digne. Dans les Vosges, les montagnes arrondies et couvertes de bois laissent lentement filtrer les eaux pluviales, qui forment au fond des vallées des ruisseaux limpides et abondans. Aménagées avec soin, ces eaux arrosent de vertes prairies et mettent en mouvement des scieries, des moulins et des filatures qui répandent l’aisance et la richesse aux alentours. Dans les Alpes, le tableau est bien différent. Le bassin du Labouret est absolument dépourvu de végétation, et le torrent qui en occupe le fond forme un ravin central vers lequel se dirigent tous les sillons secondaires creusés par les pluies dans les montagnes voisines, dont l’élévation varie de 1,000 à 2,300 mètres. Comme la plupart des torrens de cette région, le Labouret est ordinairement à sec ; mais qu’un orage survienne, aussitôt les eaux, que rien ne retient sur ces pentes dénudées, se précipitent avec fureur dans la vallée en laissant aux flancs des montagnes de profondes déchirures, puis, continuant leur course dévastatrice, elles vont répandre dans la plaine les terres et les rochers qu’elles ont enlevés sur leur route.

Nous n’insisterons pas sur la description de ce phénomène aujourd’hui généralement connu ; qu’il suffise de savoir que le reboisement de ces montagnes a été considéré comme le remède le plus efficace contre les dévastations des torrens, et qu’une loi a été votée dans cette intention le 28 juillet 1860. Depuis cette époque, l’administration forestière s’occupe avec activité de cette œuvre réparatrice. Les difficultés à surmonter sont extrêmes, car elles tiennent moins aux obstacles matériels qu’au mauvais vouloir des populations. Celles-ci, n’ayant depuis longtemps d’autre moyen d’existence que l’éducation des troupeaux, se montrent hostiles à toute mesure qui restreint même momentanément l’étendue des pâturages ; or on sait qu’avec la vaine pâture il n’y a pas de reboisement possible.

Dans cette opération, le premier soin de l’administration est de choisir et déterminer les terrains à boiser dans chaque bassin. Si ces terrains appartiennent à l’état, point d’obstacles ; mais s’ils appartiennent à des communes ou à des particuliers, il faut obtenir le consentement des propriétaires. A défaut de ce consentement, un décret rendu en conseil d’état déclare le reboisement d’utilité