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La Russie a voulu figurer à ce concours, et la collection rassemblée par l’institut impérial de Saint-Pétersbourg est assez complète ; il n’en est pas de même du catalogue destiné à en faciliter l’étude, et où les renseignemens généraux, qui sont si nécessaires, manquent presque entièrement. On remarque dans l’étalage russe une certaine quantité d’objets fabriqués avec l’écorce de tilleul ; cette industrie est assez importante pour que nous entrions à ce sujet dans quelques détails.

L’écorce de tilleul (tille) est employée à la fabrication de nattes qui sont l’objet d’un commerce très considérable, et il n’est pas rare de voir dans les ports d’Arkangel, de Riga et de Saint-Pétersbourg des navires a destination de l’Angleterre ou de l’Allemagne en composer toute leur cargaison. La consommation intérieure en réclame également une prodigieuse quantité. Il faut avoir parcouru la Russie, il faut avoir vu les habitations des paysans, les bazars des petites villes, la foire de Nijni-Novgorod, pour se faire une idée de la variété d’usages auxquels on emploie l’écorce de tilleul et les nattes dont elle fournit la matière. On en fait des sacs pour la farine et les grains, des enveloppes pour les caisses où sont emballées les marchandises de toute nature, des doublures pour les charrettes des paysans, des tapis pour les planchers et les ponts des bateaux, des cribles à vanner le blé, des filets dans lesquels les rouliers mettent leur provision de foin. Sur les barques qui sillonnent les rivières et les canaux, les câbles, les cordes et les voiles même sont fabriqués avec la tille. Dans une grande partie de la Russie, cette écorce sert à confectionner des chaussures pour le peuple et des couvertures pour les maisons ; autrefois même on l’employait en guise de parchemin, et l’on cite des documens écrits et des tableaux peints sur des toiles de tille préparée à cet effet.

C’est surtout dans les gouvernemens de Viatka, Kostroma, de Kasan et de Nijni-Novgorod que la population s’occupe de la fabrication de ces divers objets. Aux mois de mai et de juin, au moment où la sève ascendante facilite la décortication, les paysans abandonnent en masse leurs villages, et se rendent tous ensemble, hommes, femmes et enfans, dans les profondeurs des forêts pour s’y livrer à leur industrie. Malgré la chaleur, qui est étouffante, malgré les insectes, qui pullulent, ils y restent néanmoins jusqu’à ce qu’ils aient fait leur provision de tille ; encore l’opération échoue-t-elle parfois, lorsque des variations de température arrêtent l’ascension de la sève et rendent l’écorcement impraticable. Pour dépouiller l’arbre, ils ne l’abattent pas ; ils y font une entaille et le cassent en le renversant de façon à laisser la tige adhérer à la souche.