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question de distance écartée) la route de Bordeaux à Saragosse à travers les Pyrénées. Figurez-vous une armée française partant de Bordeaux et voulant envahir l’Espagne par le val d’Arran. Cette armée suivra pendant plusieurs étapes les plaines de la Guienne, puis, s’engageant dans des terrains de plus en plus accidentés, elle remontera la Garonne jusqu’à ses sources, pendant que l’armée de défense, quittant les bords de l’Èbre et remontant la Sègre, accélérera sa marche pour arriver la première aux cols des Pyrénées et en fermer l’accès à l’armée d’invasion. C’est exactement, aux noms près, ce qui se passerait dans la conjoncture dont je parle.

En passant l’Oxus, on atteint en trois ou quatre jours, à travers un pays plat, riche et cultivé, les villes importantes de Balkh et Khouloum, résidences d’un émir afghan fort puissant, dont l’autorité nominale s’étend jusqu’aux frontières de la Tartarie chinoise. Pour ne pas être balayé par l’invasion, cet émir s’empresserait probablement de négocier, de vendre son alliance et de livrer la route sur toute son territoire, c’est-à-dire le long de la vallée de Khouloum jusqu’aux passes de Bamian. Dans le cas où il préférerait combattre, grâce à des promesses de secours du gouvernement, anglais ou à un subside payé à propos, il pourrait, même avec ses seuls irréguliers, infliger des pertes très graves à l’ennemi engagé dans les passes formidables d’Heibak, à 12 lieues de Khouloum, et connues sous le nom significatif de Dara-i-Zindan, « vallée de la prison. » C’est une faille étroite, serpentant entre deux lignes de rochers à pic qui atteignent parfois 300 mètres de haut, et sont couronnés de fortins délabrés. A 37 lieues plus loin, toujours dans la même vallée, commence l’affreux défilé appelé Dandan-Chikan (le briseur de dents), redouté des caravanes, et qui mène à la jolie vallée de Kamard, pleine de jardins et de cultures. Trois courtes étapes à travers un pays bien cultivé mènent à un troisième col, celui d’Akrabad, haut de 3,400 mètres au-dessus de la mer, praticable aux fourgons et à l’artillerie, et d’où l’on débouche après une marche de quatre heures dans la plaine célèbre de Bamian, clé stratégique de toute cette ligne.

Pendant ce temps, l’armée anglaise de défense, massée à Djellalabad, ne serait pas restée inactive ; L’espace compris entre Djellalabad et Bamian est un peu plus court que celui de Bamian à l’Oxus, et offre aux Anglais l’immense avantage d’une route qui leur est très familière (ils l’ont parcourue deux fois il y a trente ans, en poussant leurs avant-postes jusqu’à Bamian). On comprendra dès lors qu’il est à peu près impossible de forcer de front les passes du Caucase indien, occupées par 30,000 hommes de troupes européennes de première valeur. Pour que l’invasion réussît, il faudrait que la