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sujets immédiats et leur faire mieux apprécier par comparaison les bienfaits de l’administration vraiment modèle dont ils jouissent. Il y a la de graves questions qu’on ne peut traiter incidemment ; qu’il me suffise aujourd’hui de constater que l’Angleterre a adopté depuis plus de vingt ans dans l’Inde une politique toute défensive, que rien ne fait présager un changement dans cette politique, et que si un choc doit avoir lieu entre elle et la Russie sur l’un ou l’autre versant du Caucase indien, c’est évidemment de cette dernière puissance que l’agression viendra.

Ici deux questions fort sérieuses se présentent d’elles-mêmes : l’Inde est-elle pour la Russie une conquête désirable ? Serait-elle une conquête facile ou même possible ? Sur le premier point, il ne peut y avoir de doute. L’Inde a toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, le diamant de l’Asie, et l’on pourrait presque ajouter du vieux monde. Si les richesses minérales y sont nulles, si ses côtes, mal abritées, se prêtent médiocrement au développement d’une marine, en revanche ses admirables plaines, riches de tant d’alluvions, arrosées par deux cents fleuves et par des milliers de rivières, ses coteaux fertiles, si heureusement étages, nourrissent 200 millions d’habitans. On a souvent vu des états moins puissans que la Russie tentés par une proie moins belle, sans compter qu’il peut se présenter en Europe telles complications et telles collisions qui ajouteraient à l’attrait d’une pareille conquête la satisfaction de porter le coup le plus sensible à la prospérité d’une puissance rivale. En un mot, l’intérêt que la Russie peut avoir à passer l’Indus est impossible à nier. Qu’une semblable entreprise soit praticable, ceci est le point délicat et demande certains développemens.

Le lecteur qui nous a suivi avec quelque attention a pu voir que nous sommes pour notre part assez rebelle à l’hypothèse d’une tentative de la Russie sur l’Inde, au moins dans le siècle présent. A défaut des confidences des cabinets, celui qui veut approfondir ces questions doit se livrer à un calcul de probabilités dont les élémens sont les actes politiques du gouvernement dont il cherche à pénétrer la pensée. Cette méthode, appliquée à la politique russe dans l’Asie centrale, ne nous révèle pas une soif bien grande d’envahissemens. Nous avons déjà démontré qu’au Turkestan les conquêtes de la Russie n’ont eu qu’un caractère défensif. Entraînée par les mêmes nécessités, elle marche d’un pas lent et sûr à l’absorption totale du Turkestan ; mais ce qui paraît prouver le peu de place qu’occupe cette question dans ses préoccupations actuelles, c’est le chiffre restreint des forces qu’elle y a employées, comparé à celui des troupes qu’elle entretenait dans le Caucase avant la prise de Chamyl. La petite armée qui a conquis la moitié du Khokand, celle