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ses compatriotes contre leur esprit de domination ; si l’arrogance des Magyars n’avait pas excité la défiance des Croates et fourni à la cour de Vienne l’occasion d’exploiter ces haines fratricides, la Hongrie eût été bien plus libre dans la question italienne. Fallait-il accorder ou refuser à l’Autriche le concours des troupes hongroises pour combattre l’armée de Charles-Albert ? Terrible alternative : refuser ce concours, c’était manquer à une des obligations du pacte fondamental, c’était se séparer de la monarchie et accepter les conséquences de la rupture ; l’accorder, c’était s’associer à une guerre inique et attaquer chez les Italiens ce même droit national dont les Magyars étaient si jaloux pour eux-mêmes. Il n’y avait évidemment qu’une conduite à tenir ; il fallait déjouer hardiment le piège des circonstances et maintenir la neutralité de la Hongrie. Se figure-t-on pourtant les difficultés de cette politique au moment où les Croates, en haine de la domination hongroise, prêtent leurs troupes au gouvernement autrichien et se préparent à sauver l’empire pour écraser leurs rivaux ? Kossuth lui-même est effrayé de ces complications. sans issue, il se rallie aux modérés du ministère ; on imagine des transactions ; on promet à l’Autriche le concours des régimens hongrois à la condition que le but de la guerre sera non l’asservissement de l’Italie insurgée, mais l’établissement d’un régime nouveau, la consécration de l’autonomie vénitienne et lombarde sous le sceptre des Habsbourg. Rêveries insensées, ou plutôt désarroi des esprits enfermés dans un dilemme de mort ! Tandis qu’on négocie longuement sur cette base, l’Autriche, victorieuse des Italiens, se porte sur la Hongrie. Jellachich s’avance avec ses Croates… Il n’y a plus qu’un parti à prendre : guerre à l’Autriche, puisque l’Autriche le veut ! Kossuth n’eut pas de peine à se décider, il rentrait dans son rôle. Après avoir louvoyé plusieurs mois entre les écueils avec les libéraux du ministère Batthiany, il allait devenir le dictateur de la révolution. Qu’on se représente au contraire les perplexités de Széchenyi. Sa place est sous le drapeau des Magyars, et il est persuadé pourtant que cette guerre est la ruine de son pays ; que la Hongrie a besoin de l’Autriche comme l’Autriche a besoin de la Hongrie, qu’elles ne peuvent subsister l’une sans l’autre ; reniera-t-il la foi de toute sa vie ? il maudit la duplicité du cabinet de Vienne, qui exploite les passions croates et pousse les Magyars au désespoir ; il redoute les extrémités meurtrières où la révolution va entraîner ses compatriotes. Pas une issue, pas un rayon de lumière ; de toutes parts la ruine, la honte, la mort. Il y a des jours. où la clairvoyance est un don funeste. Heureux, celui qui ne voit qu’un aspect des choses et à qui son erreur même permet de suivre résolument une idée ! Malheur à l’homme que la sagesse paralysé ! C’en est fait du sage en ces