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Barthélémy Szemere avait l’intérieur, le prince Paul Eszterhazy les affaires étrangères, c’est-à-dire les relations entre le royaume de Hongrie et l’empire d’Autriche, Lazare Meszáros la guerre, François Deák la justice, Gabriel Klauzál l’agriculture et le commerce, le baron Joseph Eötvös l’instruction publique et les cultes ; on avait donné les travaux publics au comte Széchenyi et les finances à Louis Kossuth.

Des personnages que réunit cette liste, les uns sont tombés sous les balles de la réaction autrichienne, les autres, n’ont échappé au supplice que par l’exil ; d’autres enfin, après de longues années d’angoisses, réconciliés aujourd’hui avec l’Autriche, ont retrouvé leur place au sein du ministère national ; ce sont eux qui reprennent en ce moment même, au milieu des acclamations de la Hongrie, l’œuvre interrompue en 1848 par les violences, de la guerre et par dix-neuf années de servitude ! Qu’est devenu le plus illustre, d’entre eux ? quel a été le lot de l’adversaire de Kossuth ?

Le comte Széchenyi n’avait accepté les fonctions de ministre que le désespoir dans l’âme. Il avait trop de clairvoyance pour se prêter à aucune illusion. Pendant les six mois qu’il est demeuré à son poste, du mois de mars au mois de septembre 1848, tout ce qu’il avait prédit dans ses manifestes s’accomplissait de jour en jour. Kossuth était dépassé par les démagogues magyars ; la crise, chacun le comprenait, ne pouvait être terminée que par une guerre avec l’Autriche, et cette guerre, quel que fût le sort des armes, Széchenyi savait bien qu’elle amènerait la ruine de son pays. Il savait que l’Autriche était nécessaire à l’équilibre de l’Europe, que l’Europe ne la laisserait pas démembrer, que toutes les victoires des Hongrois ne feraient que retarder une défaite suprême. Et alors quelle réaction horrible ! victorieuse ou vaincue, l’Autriche serait sans pitié. De la voie des concessions où elle s’engageait peu à peu, la guerre la rejetterait dans les voies de l’oppression meurtrière. Que de violences, que de crimes, que de haines nouvelles ajoutées aux ressentimens séculaires allaient ajourner l’œuvre de la réconciliation ! Ce serait la mort de la Hongrie, ce serait aussi la mort de l’Autriche. Széchenyi voyait tout cela, et son impuissance le désolait. Vainement Batthiany, Franz Deák, Szemere, Meszáros, vainement Kossuth lui-même, instruit par l’expérience, éclairé peut-être par les paroles de Széchenyi, s’efforçaient de concilier les exigences opposées et d’empêcher la rupture définitive avec les Habsbourg ; le déchirement était inévitable.

Deux épisodes également graves, l’insurrection italienne et le soulèvement des Slaves de Hongrie, vinrent précipiter les événemens. On vit alors combien Széchenyi avait eu raison de prémunir