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l’avouerais-je pas ? mon sang brûle mes veines. Dans une de ces pages irritantes, pour n’en citer qu’une seule, il était dit qu’il suffirait de lâcher certaines écluses, et qu’on en finirait une bonne fois avec toute l’aristocratie privilégiée de ce pays ! Admirable système de conciliation, surtout chez des hommes qui invoquent à tout propos le dogme sacro-saint de la légitimité ! Rappelons-nous l’histoire de Marie-Thérèse,’rappelons-nous seulement les événemens de ce siècle, lorsque le conquérant essayait de séduire la nation, de lui faire oublier ses devoirs envers la dynastie, nous aussi nous pouvions dire alors : Il nous suffirait d’ouvrir certaines écluses… Je n’achève pas, les membres de la chambre haute savent bien ce que je veux dire ; mais il ne se trouva pas dans ce pays un seul criminel pour concevoir cette pensée. Appuyé sur ces souvenirs avec une fierté nationale, je déclare que nous n’avons besoin d’aucun avertissement du dehors pour remplir nos devoirs envers le roi et la patrie. »


C’est devant la diète de 1839 que le comte Széchenyi tenait ce ferme langage, puis après avoir ainsi réduit au silence les publicistes viennois, après les avoir écartés de la scène comme étrangers au débat et n’ayant nulle qualité pour intervenir, il met pour ainsi dire en présence le gouvernement des Habsbourg d’un côté, la nation magyare de l’autre, et montre à quelles conditions finiront les luttes séculaires. Il faut que l’esprit de défiance disparaisse. Le gouvernement attribue au pays des pensées factieuses, et par cela même il les fait naître ; le pays attribue au gouvernement des projets d’usurpation, et par cela même il les provoque. Qu’ils se fient l’un à l’autre en se connaissant mieux. Le principal tort du gouvernement, c’est l’ignorance… Voyez quelle impartialité dans ses conseils ! et alors même que l’orateur proclame avec sincérité son attachement à la dynastie des Habsbourg, quel sentiment de l’indépendance nationale ! Ce sont bien là les traits de l’esprit magyar tel que nous le voyons éclater aujourd’hui ?


« Si nous voulons apprécier d’une façon équitable les actes du gouvernement, plaçons-nous souvent à son point de vue ; nous reconnaîtrons alors que, dans maintes affaires où nous soupçonnons des intrigues méphistophéliques, il n’y a autre chose que l’ignorance… Il faut désirer d’autre part que le gouvernement se place souvent au point de vue de la Hongrie, au point de vue de notre régime constitutionnel ; sinon, là où il n’y a qu’une légitime préoccupation de nos droits, il verra toujours révolution et rébellion… — Faisons donc parvenir à sa majesté les remontrances de cette chambre ! Puisse son auguste personne connaître directement nos inquiétudes ! Puisse le gouvernement avoir l’occasion de considérer à notre point de vue les affairés de notre pays ! C’est seulement alors que l’irritation de tous fera place à un jugement réfléchi.