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Malgré le nombre des votans et la vivacité des discussions, les intérêts de clocher dominaient tout. Quiconque n’était pas en rapports directs avec les personnages importans du district, quiconque n’était pas initié aux passions, aux intrigues, aux rivalités locales, était certain d’échouer, s’appelât-il Széchenyi ou Kossuth. Oui, Kossuth lui-même, à l’heure des entraînemens révolutionnaires, a eu moins de chances de succès dans tel comitat que l’orateur de bas étage sachant quelles passions particulières il convenait de caresser, quelles espérances ou quelles appréhensions il fallait mettre en œuvre. « Personne n’ignore, dit un publiciste hongrois, qu’il y avait en 1847 dans le comitat de Pesth deux ou trois célébrités d’occasion qui, en se portant candidats aux élections de la diète, eussent écarté Kossuth, — Kossuth adoré de la nation à cette date, mais étranger à la vie des comitats[1]. » On ne saurait déclarer plus nettement que la vie des comitats était étrangère elle-même à la vie de la nation. Széchenyi le savait bien ; sa clairvoyance explique sa réserve. Plutôt que d’user son autorité morale en des luttes peu dignes de lui, il aima mieux garder le poste qu’il avait choisi, au-dessus des comitats, au-dessus même des partis de la diète, et poursuivre obstinément deux choses qu’il regardait comme la clé de l’avenir, la réforme législative de la Hongrie et l’alliance des Magyars avec la monarchie autrichienne.


« Dieu fasse que je rende ma pensée aussi claire pour tous qu’elle l’est pour moi, afin que mes paroles ne donnent lieu à aucune méprise, et que personne n’en puisse être blessé ! Je n’ai en vue autre chose que la conciliation, non pas seulement la conciliation des partis, mais la concorde des deux chambres, la concorde de la nation et du gouvernement. La cause de notre mal est beaucoup moins dans les hommes que dans notre association hétérogène ; cette cause, c’est que la Hongrie possède une constitution et que l’Autriche n’en a point. Or, puisque les choses sont ainsi et que notre devoir est de conserver cette constitution sans permettre que l’esprit en soit faussé, la mission du gouvernement, bien plus son intérêt propre, s’il veut vivre en paix avec nous, est de favoriser notre développement dans le sens de nos institutions nationales. Il n’en fait rien cependant. Ne le voyons-nous pas, depuis l’ouverture de la diète, non-seulement permettre, mais ordonner à ses scribes mercenaires d’accumuler contre nous calomnies sur calomnies ? Et n’est-il pas évident qu’il veut soulever contre nous l’opinion de l’étranger ? Quand je me souviens de toutes les indignités que j’ai été obligé de lire dans le cours de cette diète, quand je me rappelle qu’en les lisant j’étais convaincu de l’impossibilité d’y répondre en détail, pourquoi ne

  1. Graf Stéphan Széchenyi’s staatsmännische Laufbahn.