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baron Vesselényi devenait l’idole de la foule, le réformateur a-t-il cessé tout à coup de suivre les séances de la diète ? Pourquoi s’est-il réfugié en quelque sorte sur le théâtre de ses grands travaux, au milieu des ingénieurs qui transformaient le pays ? Peut-être voulait-il montrer que là où régnait encore son influence, les promesses de son programme s’accomplissaient de jour en jour, tandis que l’agitation de Vesselényi arrêtait l’élan des réformes civiles. Il est certain en effet que la diète, après avoir si bien commencé en 1832, finissait en 1836 sans avoir réalisé les réformes promises ; une lutte intempestive contre le ministère autrichien avait détourné les esprits du programme tracé par Széchenyi, et au milieu des passions confusément soulevées tout demeurait en suspens. Pourquoi du moins, après cette fâcheuse épreuve, Széchenyi n’avait-il pas essayé de ressaisir son autorité morale en vue de la diète suivante ? C’est dans les comitats que se préparaient les élections, ce sont les comitats qui donnaient aux députés des mandats impératifs ; comment donc se faisait-il que le noble comte n’eût pas cherché à dominer les comitats par le prestige de sa renommée et l’ascendant de sa personne ? Cette question est d’autant plus naturelle que le comte Széchenyi, après le succès de ses manifestes, avait reçu de presque tous les comitats de Hongrie le droit d’indigénat, c’est-à-dire le droit de siéger, de parler, de voter comme les représentai de la commune.

Les récentes études publiées sur le comte Széchenyi nous fournissent ici des explications fort curieuses. D’après la vieille constitution magyare, telle qu’elle existait encore en 1836, la Hongrie se divisait en cinquante-deux comitats. Chacun de ces comitats du districts avait une assemblée où pouvaient siéger non-seulement les grands propriétaires, mais les plus modestes gentilshommes de la contrée, les notables de tout rang, magistrats, juristes, hommes d’affaires ; on cite tel comitat qui renfermait de vingt-cinq à trente mille personnes ayant droit de suffrage. Au moment des élections générales pour la diète, chacun des comitats arrêtait le mandat que ses députés avaient mission de remplir, et ce mandat était impératif. Une commission préparait le travail ; l’assemblée, au moyen de subdivisions nombreuses, délibérait et votait. On se figure aisément le désordre qu’une telle organisation introduisait dans les affaires du pays. Institution féodale, les comitats avaient été inoffensifs tant que l’esprit féodal n’avait pas été remplacé par une force plus active. Depuis le mouvement réformateur du comte Széchenyi, ces cinquante-deux parlemens au petit pied réunissaient sans aucun correctif les inconvéniens de deux systèmes contraires. C’était le morcellement du moyen âge avec l’agitation de la vie moderne.