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genre à la littérature dramatique, et montra quelle gloire lui était réservée, si elle voulait se faire l’institutrice de la nation. « Le théâtre magyar, — Magyar szinház, » tel est le titre d’une brochure publiée en 1831 par le comte Széchenyi, et qui exerça aussitôt une action considérable. Ce manifeste est une date dans l’histoire de la régénération de la Hongrie. Il est impossible de ne pas se rappeler ici les paroles charmantes de Montaigne sur l’utilité du théâtre. A quelque point de vue qu’on se place, selon l’aimable moraliste, au point de vue de l’ordre public ou du sentiment national, que d’avantages pour les citoyens dans cette institution d’une scène fidèle à ses devoirs ! « On ne leur saurait concéder des passe-temps plus réglés que ceux qui se font en présence d’un chacun et à la vue même du magistrat ; je trouverais raisonnable que le prince, à ses dépens, en gratifiât quelquefois la commune d’une affection et bonté comme paternelle, et qu’aux villes populeuses il y ait des lieux destinés et disposés pour ces spectacles ? quelque divertissement de pires actions et occultes. » Voilà pour l’ordre et la moralité ; une autre idée, — le sentiment de la communauté nationale, le désir de rallier les forces dispersées du pays, — animait le réformateur magyar, et cette idée se retrouve aussi chez le philosophe du XVIe siècle. « Les bonnes polices prennent soin d’assembler les citoyens et les rallier, comme aux offices sérieux de la dévotion, aussi aux exercices et aux jeux ; la société et amitié s’en augmente. » Paroles exquises ! avec quel mélange d’ingénuité et de profondeur Montaigne indique l’origine sacrée du théâtre, en marque le but, en fait deviner la règle ! Et comme ces vérités, senties des âmes d’élite aux époques d’enfantement héroïque et de laborieux essor, reparaissent naturellement dans toutes les circonstances analogues 1 En provoquant la fondation d’un théâtre national en Hongrie, le comte Széchenyi ne faisait que développer les paroles de Montaigne : « la société et amitié s’en augmente. »

Le manifeste du comte Stéphan avait paru en 1831 ; dès l’année suivante, la diète de Pesth s’appropria ses idées et en fit un projet de loi qui fut définitivement voté en 1836. Un an après eut lieu l’ouverture solennelle du théâtre magyar. « J’ai peine à croire, dit un écrivain hongrois, qu’en aucun pays du monde le théâtre soit plus constamment, plus pieusement fidèle à sa mission de culture virile et d’enseignement national que le théâtre magyar de Pesth. » C’est un Hongrois qui parle, et les Hongrois cèdent volontiers à l’enthousiasme quand il s’agit d’eux-mêmes ; rabattez donc quelque chose de ces paroles, il n’en reste pas moins un témoignage digne d’être recueilli. On ne se donne pas de telles louanges quand les faits sont là pour les démentir. Le témoin que j’ai cité ne vante