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journées de 1813 à 1815 ; il retourne à Vienne pendant que les plénipotentiaires européens remanient la carte à leur gré pour assurer la défaite de la révolution. Que fait le jeune officier de Leipzig en ces graves conjonctures ? C’était hier le plus brave des hussards de Hongrie, c’est aujourd’hui le plus élégant, le plus aimable, mais aussi le plus frivole des cavaliers. On connaît ce mot célèbre : le congrès ne marche pas, il danse. Le comte Stéphan Szèchenyi était un des chefs de cette jeunesse qui faisait danser le congrès. Après les émotions du champ de bataille, après les fêtes aristocratiques de Vienne, la vie de garnison est bien vide, bien fastidieuse ; plus fastidieuse et plus vide encore est l’oisiveté du gentilhomme. Le comte Stéphan se met à courir le monde, il visite l’Orient, le sud et l’ouest de l’Europe ; il passe quelques années en Grèce, en Italie, en France, en Angleterre, et des idées nouvelles s’emparent de son intelligence ; à la vue des nations qui déclinent ou qui se relèvent, qui s’éteignent dans l’inertie ou se transforment par le travail, comment ne songerait-il pas à son pays ? L’Angleterre surtout lui cause une sorte d’éblouissement. Cette activité incessante, cette ardeur d’initiative, ce bon sens robuste et pratique, l’emploi fécond de la liberté, les merveilleux résultats de l’association volontaire, tous ces spectacles si nouveaux lui sont une révélation. Transporté de surprise et d’enthousiasme, il rêve pour ses compatriotes des destinées semblables. La Hongrie est pleine de ressources dont nul ne songe à profiter ; pourquoi ne serait-il pas le réformateur qui réveillera ces forces endormies ? Cette pensée ne le quitte plus, et voilà le brillant gentilhomme à l’école des contre-maîtres, des ingénieurs, des organisateurs de meetings, étudiant tous les secrets de l’activité britannique. Sa vie errante et inutile a un but désormais : initier tout un peuple aux conditions du progrès, réunir en faisceau les élémens dispersés, faire passer de l’enfance à la virilité une race généreuse, accoutumer les Hongrois à être les artisans de leur destinée, leur rendre sans révolution le premier rang en Autriche, de telle façon que l’Autriche elle-même y trouve son compte, — quel programme ! et dût-on ne pas en voir l’accomplissement, qu’il serait beau d’y attacher son nom !

A peine de retour en son pays, le comte Stéphan se mit à l’œuvre. C’était en 1825, Un jour, se trouvant à Presbourg au moment de la diète, il entre dans la salle des séances ; on discutait la fondation d’une académie qui aurait spécialement à veiller sur les intérêts de la langue nationale. « Cette langue, disait un orateur, le signe de notre existence distincte au sein des populations de l’Autriche, un des joyaux de la couronne de saint Etienne, les traités la reconnaissent, la respectent, c’est nous-mêmes qui l’abandonnons ! » A cette